History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

A cet aspect, les Athéniens reprennent courage; ils s’exhortent unanimement, et poussant un cri, ils fondent sur leurs adversaires. Ceux-ci, déconcertés par les fautes qu’ils avaient commises et par le désordre où ils se trouvaient, ne font qu’une courte résistance et bientôt s’enfuient vers Panor-mos, d’où ils étaient partis. Les Athéniens les poursuivent, s’emparent des six vaisseaux les plus voisins, ressaisissent les leurs que les Péloponésiens avaient endommagés près de la côte et qu’ils traînaient à la remorque ; ils tuent les hommes ou les font prisonniers. Sur le vaisseau leucadien coulé près du bâtiment marchand, se trouvait le Lacédémonien Timo-cratès. Au moment où le navire sombrait, il s’égorgea lui-même ; son corps fut porté par les vagues dans le port de Naupacte.

Les Athéniens, revenus de la poursuite, érigèrent un trophée à l’endroit d’où avait eq lieu leur retour offensif. Ils recueillirent les morts et les débris jetés sur la rive et rendirent par composition ceux de l'ennemi. Les Péloponésiens dressèrent aussi un trophée pour avoir mis en fuite les Athéniens et désemparé leurs vaisseaux près du rivage. Ils consacrèrent sur le Rhion d’Achaïe, devant leur trophée, le bâtiment qu’ils avaient pris ; ensuite, craignant l’arrivée d’un renfort d’Athènes, ils rentrèrent tous pendant la nuit dans le golfe de Crisa et à Corinthe, excepté les Leucadiens. Les vingt vaisseaux athéniens, qui venaient de Crète et qui auraient dû rejoindre Phormion avant le combat, arrivèrent à Naupacte peu de temps après la retraite des ennemis. Là-dessus l’été se termina.

Avant de licencier l’armée navale qui s’était retirée à Corinthe et dans le golfe de Crisa^némos, Brasidas et les autres généraux péloponésiens voulurent, à l’instigation des Mégariens et au commencement de l’hiver, faire une tentative sur le Pirée, port d’Athènes. Il n’était ni gardé ni fermé; ce qui n’est pas surprenant, vu la grande supériorité de la marine athénienne. U fut résolu que chaque matelot prendrait sa rame,

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son coussinet, sa courroie [*](La courroie servait à attacher la rame,*le coussinet à s’asseoir sur les francs de rameurs. Corinthe n’est qu’à vingt kilomètres de Mégare. ), et se rendrait à pied de Corinthe à la mer qui est du côté d’Athènes; qu’après avoir promptement gagné Mégare, on tirerait de Niséa, chantier de cette ville, quarante vaisseaux qui s’y trouvaient, et qu’on cinglerait immédiatement contre le Pirée. Il n’y avait dans ce port aucune escadre de garde, et l’on était loin de s’attendre à un coup de main si hardi. Les Athéniens n’appréhendaient guère une agression ouverte et préméditée, ou, le cas échéant, ils croyaient qu’ils ne pouvaient manquer de la prévoir.

Leur plan arrêté, les Péloponésiens se mirent aussitôt en marche. Arrivés de nuit à Niséa, ils tirèrent les vaisseaux à la mer. Toutefois, intimidés par le danger et contrariés, dit-on, par le vent, ils cinglèrent, non plus contre le Pirée, selon leur première intention, mais vers le promontoire de Salamine qui fait face à Mégare ; il y avait là un fort avec une station de trois vaisseaux athéniens, qui tenaient cette ville bloquée. Ils assaillirent le fort, emmenèrent les trirèmes vides, et, grâce à leur incursion soudaine, ravagèrent le reste de l’île.

Cependant les signaux d’alarme étaient élevés pour annoncer à Athènes l’approche de l’ennemi[*](Sur cette espèce de télégraphie nocturne au moyen de signaux de feu, comparez liv. III, ch. xxn, lxxx; liv. LV, ch. xlii, exi; liv. VIII, ch. cii. Selon le sch’oliaste, l’approche de l’ennemi était indiquée par des flambeaux agités en l’air, celle d’amis par des flambeaux élevés tranquillement. ). Dans tout le cours de cette guerre, il n’y eut pas de plus chaude alerte. Ceux de la ville croyaient que les ennemis étaient maîtres du Pirée ; ceux du Pirée, que Salamina était prise et que d’un instant à l’autre ils allaient être attaqués. Avec un peu plus de résolution, c’eût été chose facile, et le vent n’aurait pas été un obstacle.

Au point du jour, les Athéniens se portèrent en masse au Pirée, mirent des vaisseaux à flot, y montèrent à la hâte et en grand tumulte; puis cinglèrent vers Salamine, laissant la garde du Pirée aux gens de pied. Les Péloponésiens, avertis de leur approche, se rembarquèrent précipitamment pour Niséa, non sans avoir couru la plus grande partie de Salamine et enlevé des hommes, du butin et les trois vaisseaux du fort de Bou-doron. Il est juste de dire qu’ils n’étaient pas sans inquiétude au sujet de leurs bâtiments, qui, n’ayant pas été depuis longtemps à la mer, faisaient eau de toutes parts. De retour à Mégare, ils reprirent à pied le chemin de Corinthe. Les Athéniens, ne les trouvant plus dans les eaux de Salamine, se retirèrent également. Dès lors ils firent meilleure garde au Pirée, le tinrent fermé et prirent toutes les précautions désirables.