History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

« Soldats, le nombre de vos ennemis, je le vois, vous inspire de l’inquiétude ; aussi vous ai-je convoqués pour dissiper une crainte mal fondée. a: D’abord, c’est à cause de leur première défaite et dans ie sentiment de leur infériorité, qu’ils ont réuni ce grand nombre de navires, au lieu de se mesurer contre nous à forces égales. Ensuite, ce qui leur inspire cette confiaflce audacieuse, c’est uniquement leur habitude des combats sur terre ; comme ils y sont ordinairement vainqueurs, ils se figurent que sur mer il en sera de même. Mais ici c’est à nous qu’appartient l’avantage, s’il est vrai que sur terre il leur soit acquis. Nous ne leur cédons point en bravoure, et l’audace est toujours en proportion de l’expérience.

« Les Lacédémoniens, qui n’ont en vue que leur propre gloire,

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mènent an combat leurs alliés pour la plupart malgré eux. Autrement ils ne reviendraient pas d’eux-mêmes à la charge après une si rude défaite. Ne redoutez point leur valeur. C'est vous qui leur inspirez une terreur bien plus forte et plus motivée, soit à cause de votre première victoire, soit par la pensée que vous n’accepteriez pas la bataille si vous ne comptiez pas la gagner. A la guerre, on cherche communément à s’assurer l'avantage du nombre plutôt que de la valeur. Il n’y a que les braves qui, malgré leur infériorité numérique, résisteift sans y être forcés. Cette remarque n’échappe point à nos adversaires. Ils sont plus effrayés de notre attitude imprévue qu’ils ne le seraient d’un armement moins disproportionné.

«, Que de fois n’a-t-on pas vu des armées plier devant des forces comparativement moindres, par défaut de tactique ou de valeur ! A ce double égard, nous sommes sans inquiétude.

« A moins d’absolue nécessité, je n’engagerai pas le combat dans le golfe ; je me garderai même d’y entrer. A des vaisseaux peu nombreux, mais exercés et agiles, ayant affaire à une flotte considérable et peu Habile à la manœuvre, une mer rétrécie n’est pas ce qui convient. Faute d’espace et de perspective, on ne peut ni heurter de l’avant, ni reculer à propos si l’on est serré de trop près, ni faire des trouées ou virer de bord, évolutions qui supposent des vaisseaux fins marcheurs. Le combat naval se transforme alors en une lutte de pied ferme; et, dans ce cas, l’avantage est au plus grand nombre.

« C’est mon affaire à moi d’y pourvoir autant que possible. Quant à vous, demeurez en bon ordre, chacun à son bord. Soyez prompts à saisir les commandements ; cela est d’autant plus nécessaire que l'ennemi est plus rapproché. Observez dans l’action la discipline et le silence ; rien n’est plus essentiel dans les batailles, surtout navales. Enfin montrez-vous dignes de vos précédents exploits. Le moment est décisif : il s’agit ou de ravir aux Péloponésietis toute espérance maritime ou de faire craindre aux Athéniens la perte prochaine de leur empire sur la mer. -·

« Encore un coup, je vous rappelle que vous avez déjà battu la plupart de ceux que vous allez combattre ; or des vaincus n’affrontent pas deux fois de suite avec une ardeur égale les mêmes dangers. »

C’est ainsi que Phormiôn exhorta ses soldats. Les Pélo-ponésiens, voyant que les Athéniens évitaient de, s’engager dans le golfe et dans une mer étroite, résolurent ie'les y attirer

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malgré eux. Ils appareillèrent donc au lever de l’aurore •et cinglèrent vers l’intérieur du golfe, dans la direction de leur propre territoire. Les vaisseaux étaient rangés sur quatre de front, l’aile droite en tête, dans leur ordre de mouillage. A cette aile ils avaient placé leurs vingt bâtiments les plus lestes, afin que, si Phormion, dans l’idée qu’on allait attaquer Naupacte, se portait au secours de cette place menacée, les Athéniens ne pussent leur échapper en débordant leur aile, mais qu’ils fussent enveloppés par ces vingt vaisseaux. Ce qu’ils avaient prévu arriva. Phormion, craignant pour la place qui était déserte, ne les eut pas plus tôt aperçus en mer, qu’il se hâta d’embarquer son monde et suivit à regret le rivage, le long duquel marchait comme auxiliaire l’infanterie .des Mes-séniens.

Quand les Péloponésiens voient les ennemis, rangés à la file ■sur un seul vaisseau, serrant la côte et déjà engagés dans le golfe, près de la terre, comme ils le désiraient, soudain, à un signal donné, ils font une conversion à gauche et se dirigent de toute leur vitesse contre la ligne des Athéniens. Ils comptaient l’envelopper tout entière; mais les onze vaisseaux delà tête échappent à cette évolution. Les Péloponésiens atteignent les autres, les acculent à la côte, les brisent et massacrent ceux des matelots qui ne se sauvent pas à la nage. Déjà ils remorquaient un certain nombre de vaisseaux vides, un même avec son équipage, lorsque les Messéniens, accourus le long du bord, entrent tout armés dans la mer, montent sur quelques-uns de ces navires traînés à la remorque, et, combattant du haut des ponts, obligent les ennemis à lâcher prise.

Sur ce point, les Péloponésiens étaient donc victorieux et avaient mis hors de combat la division ennemie. En même temps leurs vingt vaisseaux de l’aile droite poursuivaient les onze vaisseaux athéniens qui avaient échappé à leur mouvement de conversion. Ceux-ci les devancent et, à l’exception d’un seul, parviennent à gagner Naupacte. Ils abordent près du temple d’Apollon, tournent leurs proues en# dehors et s’apprêtent à se défendre, dans le cas où les ennemis viendraient les chercher près de terre. Les Péloponésiens arrivèrent plus tard; ils voguaient en chantant le péan, comme déjà vainqueurs. Le vaisseau athénien resté en arrière était poursuivi par un vaisseau de Leucade, fort en avant des autres. A quelque distance du rivage, se trouvait à l’ancre un bâtiment marchand. Le vaisseau athénien efl fait rapidement le tour, heurte de flanc

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le vaisseau leucadien et le coule à fond. Ce spectacle inattendu frappe de surprise et d’effroi les Péloponésiens, qui s'avançaient en désordre et comme sûrs de la victoire. Aussitôt quelques-uns abaissent leurs rames et font halte pour attendre le gros de la flotte ; manœuvre périlleuse en face d’un ennemi si rapproché ; d’autres, ne connaissant pas ces parages, échouent sur des bas-fonds.