History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Tel était le contenu de ce message. Xerxès en fut ravi, et délégua vers la mer Artabaze, fils de Pharnacès, avec ordre de prendre le gouvernement de la satrapie Dascylitide [*](Cette préfecture de l’empire des Perses tirait son nom de la ville de Dascylion, située sur la Propontide, à l’embouchure du Bhyndacos. Cette ville était la résidence du satrape de la province. ), en remplacement de Mégabatès qui en était gouverneur. Il le chargea d’une lettre en réponse à celle de Pausanias. Artabaze devait au plus tôt la faire passer à Byzance en montrant le sceau royal ; et, si Pausanias lui adressait quelque demande relative à ses propres affaires, y satisfaire de son mieux et en toute fidélité. Dès son arrivée, Artabaze exécuta ces ordres et transmit la lettre dont voici la teneur :
« Ainsi dit le roi Xerxès à Pausanias. La conservation des hommes pris à Byzance et que tu m’as renvoyés d’outre-mer est un bienfait qui demeure à jamais inscrit dans notre maison[*](Les rois de Perse regardaient comme un devoir sacré de témoigner une reconnaissance royale pour les moindres services qu’ils avaient reçus. On tenait pour cet effet un registre officiel·, où étaient inscrits les bienfaiteurs du roi (en langue perse Orosang es, Hérodote, VIII, lxxxv). On voit dans l’histoire d’Esther que les rois se faisaient lire de temps en temps ce registre. ). Je me plais aux paroles qui viennent de toi. Que ni la nuit ni le jour ne t’arrêtent dans l’accomplissement de tes promesses. Ne sois retenu ni par la dépense de l’or et de l’argent, ni par le nombre
A la réception de cette lettre, Pausanias, déjà en grand renom parmi les Grecs à cause du commandement qu'il avait exercé à Platée, ne mit plus de bornes à son orgueil. Renonçant aux coutumes nationales, il sortit de Byzance en costume médique, et parcourut la Thrace avec une escorte de Mèdes et d’Égyptiens. Sa table était servie à la manière des Perses. Il n’avait plus la force de dissimuler ; mais, dans les choses de peu d’importance, il laissait entrevoir les grands desseins qu’il avait l’intention d’exécutçr dans la suite. Il se rendait inabordable, et affichait tant de hauteur et d’emportement que nul n’osait plus l’approcher. Ce ne fut pas un des moindres motifs qui déterminèrent les alliés à passer du côté des Athéniens.
Informés de sa conduite, les Lacédémoniens l'avaient, pour cette raison, rappelé une première fois. Lorsque, sans leur aveu, il fut reparti sur un vaisseau d’Hermione, et qu'on le vit persévérer dans la même conduite; lorsque, chassé de Byzance par les armes d’Athènes, au lieu de retourner à Sparte, il s’établit à Colones en Troade, d’où l’on sut qu’il intriguait avec les Barbares, prolongeant son séjour à mauvaise fin ; alors, sans plus tarder, les éphores lui dépêchèrent un héraut porteur d’une scytale[*](Message officiel. La scytale était un bâton rond et allongé, que les magistrats de Lacédémone remettaient à chaque général en missiôn. Ils en gardaient eux-mêmes un pareil, et* lorsqu’ils avaient à envoyer quelque dépêche secrète, ils enroulaient autour de ce bâton une bande de cuir, sur laquelle ils écrivaient dans le sens de la longueur du bâton; puis ils déroulaient la bande, en sorte que les caractères n’étaient intelligibles que pour le général, qui en rétablissait l’ordre à l’aide de son propre bâton. ), et lui enjoignirent de revenir avec le héraut, s’il ne voulait pas que les Spartiates lui déclarassent la guerre. Pausanias, désirant dissiper les soupçons et se flattant de se tirer d’affaire avec de l’argent, retourna une seconde fois à Sparte. D’abord il fut incarcéré par les éphores, qui ont ce pouvoir sur le roi ; ensuite il obtint son élargissement et provoqua lui-même un jugement, offrant de répondre à qui voudrait l’accuser.
Ni les Spartiates ni les ennemis de Pausanias n’avaient de preuve assez convaincante pour sévir contre un homme du sang royal et qui occupait alors un poste éminent ; car il était tuteur du jeune roi Plistarchos, fils de Léonidas et son cousin germain [*](Cléombrotos, père de Pausanias, et Léonidas, père de Plistarchos, étaient frères. ). Cependant sa tendance à se placer au-dessus des lois et à imiter les Barbares le faisait grandement suspecter de vouloir atteindre plus haut que sa fortune présente. On scrutait sa conduite passée pour découvrir les abus qu’il s’était permis. On se rappelait qu’autrefois, sur le trépied que les
Pausanias, général des Grecs, après avoir anéanti l’armée des Mèdes, a Consacré à Phébus ce monument.
Les Lacédémoniens avaient fait aussitôt disparaître du trépied cette inscription, et graver à sa place les noms de toutes les villes qui avaient concouru à,la défaite des Barbares et consacré cette offrande. On n’en persistait pas moins à regarder cette action de Pausanias comme répréhensible ; et, depuis les dernières circonstances, elle venait à l’appui des soupçons excités contre lui. On parlait aussi de ses intrigues auprès des Hilotes, et rien n’était plus vrai ; il leur promettait la liberté et la bourgeoisie , s’ils voulaient s’insurger avec lui et seconder tous ses desseins. Malgré ces indices et nonobstant les révélations faites par quelques Hilotes, les Lacédémoniens ne voulurent point innover à son égard, et restèrent fidèles à leur coutume de ne pas se hâter, à moins de preuves sans réplique, quand il s’agissait de prononcer contre un Spartiate un irrévocable arrêt. Mais enfin le messager qui avait dû porter à Artabaze la dernière lettre de Pausanias au roi, et qui était un Argilien[*](Argilos, ville grecque en Macédoine, située à ΓΟ. d’Ampbipolis et colonie d’Andros. ), jadis fort aimé de Pausanias et revêtu de toute sa confiance, devint, dit-on, son dénonciateur. Cet homme, faisant réflexion qu’aucun des précédents messagers n’était revenu, conçut des craintes; et, après avoir contrefait le cachet, de peur d’être découvert si sa défiance était mal fondée ou si Pausanias redemandait sa lettre pour y faire des changements, il ouvrit la missive ; et, comme il l’avait soupçonné, il y trouva la recommandation expresse de se défaire du porteur.
Quand il eut mis cette lettre sous les yeux des éphores, leurs doutes commencèrent à se dissiper ; toutefois ils voulurent encore entendre quelque aveu de la bouche même de Pausanias. D’accord avec eux, Γ Argilien s’en alla au Ténare comme suppliant [*](Sur le cap Ténare, pointe méridionale de la Laconie, était un sanctuaire de Neptune, asile particulièrement révéré des Lacédémoniens. Voyez liv. I, ch. cxxviil ), et construisit une cabane à double cloison, dans l’intérieur de laquelle il cacha quelques-uns des éphores. Aussi, lorsque Pausanias fut venu lui demander le motif de sa démarche, il's ne perdirent pas un mot de la conversation. D’abord l’Argilien reprocha à Pausanias ce qu’il avait écrit sur son compte; puis il énonça tout le reste de point en point, et finit par lui dire qu’il ne l’avait jamais desservi dans ses messages auprès du roi, et qu’il se voyait en récompense condamné à mourir
Après avoir entendu tout au long cet entretien, les éphores se retirèrent; dès lors, pleinement convaincus, ils préparèrent dans la ville l’arrestation de Pausanias. On raconte qu’au moment d’être saisi dans la rue, il comprit à l’air d’un des éphores qui s’avançaient quel était leur dessein ; et que, sur un signe imperceptible que lui fit par affection un autre de ces magistrats, il courut vers le temple de la déesse à la maison d’airain, dont l’enceinte était voisine, et parvint à s’y réfugier. Pour ne pas être exposé aux injures du temps, il entra dans une cellule attenante au temple et y resta en repos. Au premier instant, les éphores ne purent l'atteindre; mais ensuite, l’ayant découvert dans ce réduit, ils enlevèrent le toit et les portes, l’enfermèrent dans l’intérieur, l’y murèrent, et le tinrent assiégé par la faim. Lorsqu’ils virent qu’il était près de mourir dans le lieu sacré, ils l’en retirèrent avant qu’il eût rendu le dernier eoupir ; et à peine fut-il dehors, qu’il expira. On fut sur le point de le jeter dans le Céade[*](C’était la roche Tarpéienne de Sparte, comme à Athènes le Bâpoàpov, et à Delphes les roches Phédriades. ), comme on fait pour les malfaiteurs ; ensuite on résolut de l’enterrer dans le voisinage. Plus tard, le dieu de Delphes ordonna aux Lacédémoniens de transférer sa sépulture à l’endroit même où il était mort; et maintenant elle se voit à l’entrée de l’enceinte, comme l’indique l’inscription gravée sur les colonnes ; le dieu déclara aussi qu’ils avaient commis un sacrilège, et enjoignit aux Lacédémoniens de rendre à la déesse deux corps pour un. Ils firent faire deux statues d’airain, qu’ils consacrèrent au lieu et place de Pausanias; mais, comme le dieu avait jugé qu’il y avait eu un sacrilège, les Athéniens sommèrent les Lacédémoniens de l’expier/