History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
« L’assemblée des Lacédémoniens arrête de traiter avec les Argiens aux conditions indiquées ci-après [*](Le texte de ce traité et du suivant (chap. lxxix) est en dialecte dorien, tel qu’on le parlait dans le Péloponèse. Plusieurs passages sont obscurs et controversés. ).
« Les Argiens rendront aux Orchoméniens leurs enfants, aux Ménaliens leurs hommes, aux Lacédémoniens les hommes qui sont A Mantinée [*](Les enfants sont les otages mentionnés au chap. lxi; les hommes sont probablement des prisonniers de guerre. ).
« Ils sortiront du territoire d’Épidaure et détruiront les forts qu’ils y ont construits. Si les Athéniens n'évacuent pas Épidaure, ils seront ennemis d’Argos et de Lacédémone, ainsi que des alliés de ces deux États.
« Les Lacédémoniens rendront à toutes les villes ceux de leurs esclaves qu’ils peuvent avoir [*](Les esclaves fugitifs. Les États en guerre étaient les seuls qui leur donnassent asile. ).
« En ce qui concerne le sacrifice du dieu[*](D’Apollon Pythéen, sacrifice qui avait occasionné la guerre entre Argos et Épidaure. Voyez chap. uii. ), les Argiens seront libres de déférer le serment aux Ëpidauriens ou de le prêter eux-mèmes [*](Ce passage est inintelligible dans le texte reçu. Je lis : αἰ μεν λήν, τοῖς Έπιδαυρίοις ὅρκον δόμεν. αἰ δε, αὐτούς ὀμόσαι. Si placet, jusjurandum in Epidaurios transferant; sin minus, ipsi jurent.).
« Les villes du Péloponèse, grandes o;u petites, seront toutes indépendantes, conformément aux usages de nos pères.
« Si quelque peuple étranger au Péloponèse y entre à main armée, on se concertera pour le repousser, de la manière qui paraîtra la plus juste aux Péloponésiens.
« Tous les alliés de Lacédémone hors du Péloponèse seront sur le même pied que les alliés des Lacédémoniens et des Argiens, c’est-à-dire maîtres de leur propre territoire.
« Les alliés recevront notification du présent traité, pour avoir la faculté d’y souscrire. S’ils ont à faire quelque proposition, ils enverront à Lacédémone. »
Les Argiens acceptèrent ces articles. L’armée lacé-démonienne quitta Tégée pour regagner ses foyers, et les communications entre Argos et Lacédémone furent rétablies. Bientôt après, les mêmes citoyens amenèrent les Argiens à se séparer de Mantinée, d’Ëlis et d’Athènes, pour faire avec Lacédémone un traité de paix et d’alliance dont voici la teneur :
« Les Lacédémoniens et les Argiens conviennent de conclure paix et alliance pour cinquante ans aux conditions indiquées ci-après, s’engageant les uns et les autres à régler leurs différends par les voies légales, conformément aux usages de nos pères.
« Les autres villes du Péloponèse pourront se faire comprendre dans le traité de paix et d alliance, en restant indépendantes, maîtresses d’elles-mêmes et de leur territoire, à k condition de régler leurs différends par les voies légales, cat formément aux usages de nos pères.
« Les alliés des Lacédémoniens en dehors du Péloponèse seront sur le même pied que les Lacédémoniens. Les alliés des Argiens seront sur le même pied que les Argiens et maîtres de leur territoire.
« S’il est besoin de quelque expédition commune, les Lacédémoniens et les Argiens se concerteront de la manière la pins équitable pour les alliés.
« Si quelque différend, au sujet des limites ou de toute autre question, s’élève entre les villes du Péloponèse, il sera vidé à l’amiable. Si quelqu’une des villes alliées est en contestation avec une autre, toutes deux se soumettront à l’arbitrage d’on État neutre qu’elles auront choisi pour médiateur. Aux particuliers la justice sera rendue d’après les usages denos pères. »
Ainsi fut conclu ce traité de paix et d’alliance. On se restitua réciproquement les conquêtes et l’on régla les différends. Les deux peuples, faisant dès lors cause commune, décrétèrent de ne recevoir ni héraut ni ambassadeur de la part des Athéniens, que ceux-ci n’eussent évacué le Péloponèse et les forts qu'ils y avaient construits; enfin de ne faire ni la pair ni la guerre que d’un commun accord. Déployant une extrême activité en toutes choses, ils envoyèrent de concert une députation aux villes du littoral de la Thrace, ainsi qu’à Perdiccas, qu'ils parvinrent à entraîner dans leur ligue. Toutefois ce prince n’eut garde de rompre immédiatement avec les Athéniens ; mais il en conçut le projet, lorsqu’il vit l’exemple donné par la ville d’Argos, dont il tirait son origine[*](La famille royale de Macédoine descendait de l’Héraclide Téménos, roi d’Argos. Voyez liv. II, chap. xcix, notel. ). Finalement ils renouvelèrent avec les Chalcidéens leurs anciens serments et en ajoutèrent de nouveaux. Les Argiens députèrent aussi ami Athéniens pour leur demander l’évacuation du fort construit a Épidaure. Ceux-ci, considérant que leurs soldats étaient bien inférieurs en nombre au reste de la garnison, chargèrent Dé-mosthène de les ramener. A son arrivée, ce général simula des jeux gymniques, attira ainsi hors des murs la partie étrangère de la garnison, et fît ensuite fermer les portes [*](Démosthène voulait conserver aux Athéniens le fort d’Épidaure. Pour cet effet, il fallait que la garnison cessât d’être composée d’éléments étrangers, mais qu’elle fût exclusivement formée par des Athéniens. ). Plus tard les Athéniens renouvelèrent leur traité avec les Épidauriens [*](Les Épidauriens, en qualité d’alliés des Lacédémoniens, étaient compris dans te traité de paix conclu pâr cos derniers avec les Athéniens. ) et leur rendirent le fort.
Après la défection d’Argos, les Mantinéens, qui
Les Lacédémoniens et les Argiens mirent, chacun de leur côté, mille hommes sur pied pour une expédition commune. Les Lacédémoniens seuls se rendirent à Sicyone, où ils raffermirent le gouvernement aristocratique. Ensuite les deux troupes réunies allèrent à Argos pour renverser la démocratie et la remplacer par une oligarchie dévouée à Lacédémone. Ces événements se passèrent snr la fin de l’hiver et aux approches du printemps. Ainsi finit la quatorzième année de la guerre.
L’été suivant (a), les Diens du mont Athos passèrent dn parti d’Athènes dans celui des Chalcidéens. Les Lacédémoniens établirent en Achaïele fégime qui leur convint [*](C’est-à-dire un régime franchement aristocratique. Dès lors tous les Achéens prirent une part active à la guerre du Pélo-ponèse. Au commencement, les Pelléniens seuls l’avaient fait. Voyez lîv. II, chap. ix. ). A Argos, le parti populaire releva peu à peu la tête et attaqua l’oligarchie ; pour cet effet, il attendit le moment où les Lacédémoniens célébraient les Gymnopédies a. Un combat s’engagea dans la ville ; le peuple fut vainqueur, massacra une partie de ses adversaires et chassa l'autre. Les Lacédémoniens, appelés par leurs amis, se firent longtemps attendre ; enfin ils ajournèrent les Gymnopédies et se mirent en route pour Argos. Parvenus à Tégée, ils apprirent la défaite des aristocrates; et, malgré les instances des fugitifs, ils refusèrent d'aller plus loin. Us retournèrent chez eux achever les Gymnopédies.
Ensuite il arriva des députés envoyés par les Argiens de la ville et par ceux du dehors. Après de longs débats contradictoires, qui eurent lieu en présence des alliés, les Lacédémoniens donnèrent tort à ceux de la ville et résolurent de marcher contre Argos ; mais il survint des retards et des ajournements. Sur ces entrefaites, le peuple d’Argos, redoutant les Lacédémoniens et aspirant à renouer avec Athènes une alliance dont il espérait d’heureux fruits, entreprit de construire de longs murs jusqu'à la mer. U voulait par là, s'il venait à être bloqué par terre[*](Une des principales fêtes lacédémoniennes. Elle tombait sur le milieu de l’été, durait de six à dix jours, et consistait en exercices de danse, de musique et de gymnastique. C’était une occasion de grandes réjouissances à Sparte. Ces fêtes y attiraient un concours considérable , car les étrangers pouvaient y assister. ) s’assurer, avec l’aide des Athéniens, la ressource des arrivages maritimes. Quelques villes du Péloponèse avaient eu connaissance de ce projet. Toute la population d’Argos, hommes, femmes et esclaves, mit la main à l’œuvre. Athènes leur envoya des maçons et des tailleurs de pierre. C’est ainsi que l’été finit. (λ) Quinzième année de la guerre, an 447 avant J.-C.
L’hiver suivant, les Lacédémoniens, avertis de ces travaux, marchèrent contre Argos avec tous leurs alliés, sauf les Corinthiens, sous la conduite du roi Agis fils d’Archidamos. Ils avaient conservé dans Argos quelques intelligences ; mais le mouvement sur lequel ils comptaient n’eut pas lieu. En revanche, ils prirent et rasèrent les murs en construction. Ils s’emparèrent aussi d’Hysies en Argolide et mirent à mort tous les hommes libres qui tombèrent entre leurs mains ; après quoi ils se retirèrent, et chacun regagna ses foyers.
Les Argiens firent à leur tour une expédition contre Phlioute, dont ils ravagèrent le territoire. Ils en voulaient à cette ville pour avoir reçu leurs bannis ; c’est là en effet que la plupart d'entre eux avaient trouvé un asile.
Le même hiver, les Athénien? bloquèrent les côtes de la Macédoine [*](Je lis, avec la plupart des éditeurs modernes : κατέκλησαν.... Μακεδονίαν Ἀθηναῖοι, Περδίκκᾳ έπικαλοῦντες etc., au lieu de Μακεδονίας.... Περδίκκαν, ce qui signifierait qu’ils fermèrent à Perdiccas l’accès de son propre royaume. Gôller est l’auteur de cette correction, que le sens rend indispensable. Seulement il lit Μακεδονίας. ). Us ne pardonnaient pas à Perdiccas de s'être ligué avec Argos et Lacédémone, comme aussi d’avoir, à l’époque où Nicias fils de Nicératos se disposait à marcher contre Amphipolis et les Chalcidéens du littoral de la Thrace [*](Thucydide n’a pas fait mention, dans ce qui précède, de cette expédition préparée par les Athéniens contre Amphipolis, et probablement postérieure à la mort de Brasidas. ), abandonné l’alliance et occasionné par sa retraite la dispersion de l’armée. Ils le traitèrent donc en ennemi. Là-dessus Thiver se termina, ainsi que la quinzième année de la guerre.
L’été suivant (a), Alcibiade se rendit à Argos avec vingt vaisseaux. Il enleva trois cents Argiens, qui étaient encore suspects d’attachement pour Lacédémone, et les déposa dans les îles voisines qui dépendaient d’Athènes.
Les Athéniens firent une expédition contre l’île de Mélos avec trente de leurs vaisseaux, six de Ghios et deux de Lesbos. Ils avaient à bord douze cents hoplites athéniens, trois cents archers et vingt archers à cheval, indépendamment de quinze cents hoplites fournis par les alliés et par les insulaires. Les Méliens, colonie de Lacédémone, refusaient d’imiter les autres habitants des îles en s'avouant sujets d’Athènes. Au commencement, ils avaient gardé la neutralité et s’étaient tenus en repos ; mais ensuite, forcés par les dévastations que les Athéniens commettaient sur leurs terres, ils en étaient venus à une guerre ouverte. Les généraux athéniens, Cléomédès fils de Lycomédès et Tisias fils de Lysimachos, campèrent avec leur armée sur le territoire de Mélos ; mais, avant d’y exercer aucun ravage, ils envoyèrent des ambassadeurs chargés de parlementer. Les Méliens, au lieu de les introduire dans l'assemblée (") Seizième année de la guerre, an 446 av. J.-C.
Les Athéniens. Puisqu’on ne nous permet pas de nous faire entendre de la multitude, mais qu’on nous introduit seulement auprès d’un petit nombre d’auditeurs, de peur sans doute qu’un discours soutenu, persuasif et sans réplique immédiate n’induise votre peuple en erreur, vous qui siégez ici, procédez plus sûrement encore. Laissez là les discours suivis, et examinez les questions au fur et à mesure qu’elles vous seront soumises. Quand nous aurons énoncé une opinion, si elle vous paraît inadmissible, réfutez-la sur-le-champ; et, pour commencer, dites si cette proposition vous agrée.
Les Méliens. Nous n’avons rien à objecter contre cette manière calme et modérée de s’éclairer mutuellement; cependant elle nous semble s’accorder mal avec la guerre qui nous menace, non dans un avenir éloigné, mais à l’instant même. Nous le voyons : vous vous posez en juges de nos paroles ; et l’issue probable de cette discussion sera pour nous la guerre, si, fondés sur le droit, nous refusons de céder, ou, dans le cas contraire, l’esclavage.
Les Athéniens. Si vous êtes réunis pour calculer les chances d’un avenir incertain, au lieu d’aviser au salut immédiat de votre patrie, nous garderons le silence ; autrement nous parlerons.
Les Méliens. Il est naturel et pardonnable, dans la situation où nous sommes, de s’écarter parfois, et en pfensée et en paroles, de la question proposée. Nous reconnaissons que cette réunion a pour objet notre salut. Rien ne s’oppose donc à ce que la discussion reste dans les termes où vous voulez la maintenir.
Les Athéniens. Nous n’irons point chercher de belles phrases; et nous n’entreprendrons pas de démontrer, par de longs discours qui ne convaincraient personne, que notre domination se justifie par nos triomphes sur les Mèdes, et notre agression actuelle par vos torts envers nous. Mais de votre côté, ne venez pas non plus nous dire que c’est en qualité de colons de Lacédémone que vous avez refusé de vous joindre à nous, et quà cet égard vous êtes sans reproche. Il faut se tenir dans les limites du possible, et partir d’un principe universellement admis : c’est que, dans les affaires humaines, on se règle sur la justice quand de part et d’autre on
Les Méliens. Eh bien, pour nous placer sut le ternis de l’intérêt — nous y sommes obligés, puisque vous ériges en principe l'utile plutôt que le juste, — selon nous cet intérêt exige que vous ne fassiez pas abstraction de l’utilité commune, mais qu’il soit bien entendu que, pour quiconque se trouve es danger, la convenance se substitue au droit, et que, n’eét-il à alléguer que les raisons les plus faibles, il doit être admis iles faire valoir. Cette manière de poser la question est aussi bien dans votre sens que dans le nôtre; car, si vous poussiez à l’excès l’esprit de vengeance et que vous vinssiez à éprouver des revers, on ne manquerait pas de rétorquer contre vous l’exemple que vous auriez donné.
Les Athéniens. Si notre domination doit avoir un terme, nous sommes loin de nous en alarmer. Ce ne sont pas les peuples possesseurs d’un empire, tels que les Lacédémoniens, qui sont redoutables aux vaincus: d’ailleurs il n’est pas question des Lacédémoniens ; ce sont les sujets, lorsqu’il leur arrive d’attaquer et de vaincre leurs anciens maîtres. Mais ceci nofcs concerne à nos risques et périls. Ce que nous tenons à établir, c’est que nous sommes ici pour le bien de notre empire et que nous parlons en vue de votre salut, notre désir étant de vous commander sans obstacle et de vous voir sauvés dans l’intérêt des deux partis.
Les Méliens. Et comment peut-il être aussi avantageux à nous d’être esclaves qu’à vous de dominer?
Les Athéniens. C’est qu'en vous soumettant vous éviteriez les derniers malheurs, et que nous trouverions notre compte à vous les épargner.
Les Méliens. Et si nous restions neutres et tranquilles, en étant vos amis au lieu d’être vos ennemis, vous n'y consentiriez pas?
Les Athéniens. Non; car votre hostilité nous est moins préjudiciable qu’une amitié qui, aux yeux de nos sujets, serait un indice de faiblesse, tandis que votre haine atteste notre puissance.
Les Méliens. Vos sujets ont-ils donc assez peu de discernement pour placer sur le même rang les peuples qu’aucun lien n’attache à vous et ceux qui, étant vos colons — comme c’est le cas du plus grand nombre, — se sont révoltés et ont été soumis ?