History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Au milieu de l’été suivant [*](Quatrième année de la guerre, an 448 avant J.-C.), les Lacédémoniens, voyant leurs alliés d’Ëpidaure en souffrance,.le reste du Péloponèse ou révolté ou mécontent, se dirent que le mal ne ferait qu’empirer, s’ils ne se bâtaient d’y porter remède. Ils prirent donc les armes, eux et leurs Hilotes en corps de nation, et marchèrent contre Argos sous la conduite de leur roi Agis fila d’Archidamos.
Les Argiens, prévenus d’abord des préparatifs des Lacédémoniens, puis de leur marche sur Phlionte à la rencontre de leurs alliés , se mirent eux-mêmes en campagne. Us étaient soutenus par les Mantinéens et leurs alliés, ainsi que par trois mille hoplites d’fîlis. En s’avançant, ils rencontrèrent les Lacédémoniens à Méthydrion en Arcadie [*](Le chemin direct de Tégée à Phlionle passait par Mantinée; mais cette ville étant au pouvoir des ennemis, les Lacédémoniens la laissèrent à leur droite, et passèrent par Méthydrian, qui est plus au centre de l’Arcadie. ). Chacune des deux armées s’empara d’une hauteur. Les Argiens se disposaient à profiter de l’isolement des Lacédémoniens pour les combattre; mais Argis décampa sans bruit pendant la nuit-, et se porta vers Phlionte pour rejoindre le gros de ses alliés. Aussitôt que les Argiens s’en furent aperçus, ils se mirent.en marche à la pointe du jour et se portèrent premièrement sur Argos, puis sur le chemin de Némée, par où ils présumaient que les Lacédémoniens descendraient avec leurs alliés. Mais, au lieu de suivre cette route, Agis, à la tête de Lacédémoniens, des Arcadiens et des Épidauriens, en prit une autre fort difficile, et descendit dans la plaine d’Argos [*](De Némée à Argos il y a encore aujourd’hui deux routes : l’une, plus longue et meilleure, par le village de Saint-George; l’autre, plus courte et très-mauvaise, par le village de Carvathi, près des ruines de Mycènes. Celle-ci est connue dans le pays sous le nom de Contoporia. Les Àrgiens ne supposaient pas qu’une armée pût passer par ce dernier chemin.). Les Corinthiens, les Pelléniens et les Phliasiens se dirigèrent par d'autres pentes rapides[*](Sur la droite du grand chemin: de Némée, de manière à former la troisième colonne d’attaque. ) ; les Mégariens et les Sicyoniens eurent ordre de descendre par la route de Némée qu’occupaient les Argiens, ann de les prendre à revers avec la cavalerie au premier mouvement qu’ils feraient dans la plaine contre les Lacédémoniens. Cés dispositions arrêtées, Agis déboucha dans la plaine, où il ravagea Saminthos et d’autres localités.
Dès qu’il fit jour, les Argiens mieux renseignés partirent de Némée. Us rencontrèrent le corps des Phliasiens et des Corinthiens, tuèrent quelques hommes aux Phliasiens et en perdirent eux-mêmes à peu près autant, qui tombèrent sous les coups des Corinthiens. Les Béotiens , les Mégariens et les Sicyoniens, d’après l’ordre qu’ils avaient reçu, se portèrent sur Némée, mais sans trouver les Argiens ; ceux-ci étaient descendus en voyant le ravage de leurs terres, et étaient occupés à se ranger en bataille. Les Lacédémoniens s’étaient également déployés. De toutes parts les Argiens étaient environnés d’ennemis:
Les Argiens et leurs alliés ne jugeaient pas généralement la position si fâcheuse ; au contraire les chances leur paraissaient être en leur faveur ; car ils s'imaginaient tenir les Lacédémoniens enfermés dans leur propre territoire et sous les murs de leur ville. Déjà les deux armées s'ébranlaient pour en venir aux mains, lorsque deux Argiens, savoir Thrasyllos, un des cinq généraux, et Alciphron, proxène des Lacédémoniens, allèrent trouver Agis et le dissuadèrent de livrer bataille, l’assurant que les Argiens étaient prêts à soumettre à un arbitrage leurs différends avec les Lacédémoniens et à faire avec eux un traité de paix pour l’avenir.
Les Argiens qui faisaient cette démarche agissaient de leur chef et sans aucune mission publique. Agis goûta leurs propositions; et seul, sans en délibérer plus amplement, sans en dire mot à personne , si ce n'est à l'un des magistrats qui étaient au camp, il conclut une trêve de quatre mois, pendant laquelle les Argiens devaient accomplir leurs promesses; après quoi il ramena aussitôt l’armée, avant d’avoir pris l’avis d'aucun autre de ses compagnons.
Les Lacédémoniens et leurs alliés obéirent par déférence pour la loi ; mais entre eux il n'y avait qu’un cri contre Agis. On avait, disaient-ils, une occasion unique de livrer bataille; l’ennemi était complètement cerné, soit par la cavalerie, soit par l'infanterie ; et l’on se retirait sans avoir rien fait qui répondît aux forces dont on disposait. Jamais en effet plus belle armée grecque n’avait été réunie; on put s'en convaincre lorsqu’elle fut rassemblée à Némée. C’étaient les Lacédémoniens en masse, les Arcadiens, les Béotiens, les Corinthiens, les Sicyoniens, les Pelléniens , les Phliasiens, les Mégariens, tous gens choisis, l'élite de leurs nations, et qui semblaient faits pour tenir tête, je ne dis pas à la coalition d’Argos, mais à une force double. Ainsi l’armée se retira fort mécontente d’Agis. Elle fut licenciée, et chacun regagna ses foyers.
Les Argiens étaient encore plus irrités contre ceux qui, traitant sans l’aveu de la multitude, leur avaient fait manquer la plus belle occasion qui pût jamais se présenter, et avaient fait
Là-dessus il arriva d’Athènes un renfort de mille hoplites et de trois cents cavaliers, commandés par Lâchés et Nicos-tratos. Les Argiens, qui craignaient de rompre la trêve conclue avec Lacédémone, les invitèrent à repartir ; et quoique les Athé-niéns demandassent à parler au peuple, ils refusèrent de leur donner audience. A la fin cependant ils y furent forcés par les instances des Mantinéens et desËléens, qui étaient encore à Argos. Les Athéniens, par l’organe d’Alcibiade leur ambassadeur, soutinrent, en présence des Argiens et de leurs alliés, que l’on avait eu tort de conclure une convention sans lu participation des confédérés, et qu’il fallait profiter de leur arrivée pour entamer les hostilités. Les alliés prêtèrent l'oreille à cet avis; et tous, à l’exception des Argiens, marchèrent aussitôt contre Orchomène d’Arcadie. Les Argiens, tout en partageant l’opinion générale, restèrent néanmoins en arrière et ne rejoignirent que plus tard. Ainsi réunis, ils allèrent mettre le siège devant Orchomène et donnèrent plusieurs assauts. Leur intention était d’attirer à eux cette ville et surtout de délivrer les otages arcadiens que les Lacédémoniens y avaient déposés. Les Orchoméniens, a)armés de la faiblesse de leurs murailles et du nombre des assaillants , ne se voyant d’ailleurs aucunement secourus, craignirent de succomber. Ils capitulèrent donc sous condition d’entrer dans l’alliance , de donner eux-mêmes des otages aux Mantinéens et de livrer ceux que les Lacédémoniens leur avaient confiés.
Maîtres d’Orchomène, les confédérés agitèrent la question de savoir quelle serait celle des autres villes ennemies qu’on attaquerait ensuite. Les Éléens opinaient pour Lépréon, les Mantinéens pour Tégée. Les Argiens et les Athéniens se réunirent à ce dernier avis. Alors les Éléens, irrités de ce qu’on n’avait pas voté pour Lépréon, se retirèrent chez eux· Les autres alliés firent à Mantinée leurs dispositions pour aller attaquer Tégée, qu’une trahison devait leur livrer.
Cependant les Lacédémoniens, après leur retraite d’Argo-s et la conclusion de la trêve de quatre mois, munnnraient
Sur ces entrefaites, ils sont avertis par leurs amis de Tégée que, s’ils n’arrivent promptement, cette ville passera dans l’alliance des Argiens, et que sa défection est imminente. A l’instant les Lacédémoniens et les Hilotes en masse prirent les armes et se portèrent, avec une célérité jusqu’alors sans exemple, sur Oresthéon en Ménalie[*](Voyez, liv. IV, chap. cxxxiv, note 1. ). Ordre fut donné aux alliés d’Arcadie de les suivre à Tégée. Arrivés à Oresthéon avec toutes leurs forces, les Lacédémoniens en congédièrent la sixième partie, savoir les plus vieux et les plus jeunes, qu’ils laissèrent à la garde du pays; le reste gagna Tégée, où il fut bientôt rejoint par les Arcadiens alliés. Ils firent aussi demander à Corinthe, en Béotie , en Phocide et en Locride, renvoi de prompts secours à Mantinée. Le délai était bref, et il n’était pas facile aux alliés de traverser isolément, sans s’attendre les uns les autres, le territoire ennemi qui leur fermait le chemin ; cependant ils firent diligence. Quant aux Lacédémoniens, ils prirent avec eux les Arcadiens présents et envahirent le territoire de Mantinée. Ils campèrent près du temple d’Hercule et ravagèrent le pays.
Les A rg i ens et leurs alliés ne les eu rent pas pl u s tôt aperçus qu’ils allèrent occuper une colline de difficile accès et s’y rangèrent en bataille. Les Lacédémoniens s’avancèrent contre eux. Déjà ils n’étaient plus qu’à une portée de pierre ou de javelot, quand un des vieillards, voyant la force de la position prise par l’ennemi, cria au roi qu’il guérissait un mal par un autre ; ce qui voulait dire que son ardeur inconsidérée cherchait à réparer sa malencontreuse retraite d’Argos. Soit qu’il fût frappé de cette remontrance, soit qu’il eût spontanément changé, Agis s’arrêta court avant d’en venir aux mains ; et, se portant
Le lendemain, les Argiens et leurs alliés se mirent dans l’ordre où ils devaient combattre, s’ils en trouvaient l’occasion. Les Lacédémoniens revenaient des bords de l’eau et regagnaient leur position de la veille près du temple d’Hercule, lorsqu’ils aperçurent à courte distance toute l’armée ennemie en ligne devant eux. Jamais, de mémoire d’homme, les Lacédémoniens n'avaient eu si vive alerte ; il n’y avait pas un instant à perdre. Ils prirent leurs rangs en toute hâte, le roi Agis donnant ordre à tout. Ainsi le veut la loi ; lorsque le roi est à l’armée, tout est soumis à son commandement. Il dicte lui-même ses injonctions aux polémarques; ceux-ci les transmettent aux lochages, les lochages aux pentécontères, ceux-ci aux énomotarques, etces derniers à l’énomotie[*](D’après Xénophon, le polémarque était lé chef d’une mora? l’une des six divisions de l’armée lacédémonienne. On n’est pas sûr du rapport qui existait entre la mora de Xénophon et le lochoss de Thucydide- Le lochos ou bataillon se composait de cinq cent douze hommes, et se subdivisait en quatre pentécostys, composées chacune de cent vingt-huit hommes, et commandées par un penté-costère. La pentécostys se divisait à son tour en quatre énomoties, de trente-deux hommes chacune, sous le commandement d’un énomo-tarque. ). Tous les ordres du roi suivent cette marche et parviennent avec rapidité ; car l’armée lacédémonienne, à peu d’exbeptions près, ne contient que des commandants de commandants, ce qui étend à un plus grand nombre la responsabilité de l’exécution.
Dans cette journée, les Scirites [*](Habitants de là Sciritide, district de le Laconie-septentrionale. Ils formaient un corps spécial d’infanterie-légère. On ignore d’où leur venait le privilège d’occuper un poste d’honneur. ) occupèrent l’aile gauche, poste qui leur est exclusivement réservé. Venaient ensuite les soldats qui avaient fait sous Brasidas la campagne de Thrace, et avec eux les Néodamodes; puis les Lacédémoniens proprement dits, rangés par bataillons ; après eux, les Arcadiens d'Héréa, ceux de Ménale; enfin à l’aide droite les Tégéates [*](Lee Tégéates occupaient l’aile droite de L’armée lacédémonienne d’après un privilège qui leur avait été accordé depuis que leur roi Échémos avait] tué en combat singulier Hyllos, fils d’Hercule (Hérodote, liv. IX, chap. xxvi). ), avec quelques Lacédémoniens à l’extrémité. La cavalerie
Dans l’armée opposée, les Mantinéens occupaient la droite, parce que l’affaire avait lieu sur leur territoire [*](C’était une ancienne coutume grecque. Déjà dans Homère le catalogue des vaisseaux commence par les Béotiens, parce que la flotte s’était rassemblée à Aulis en Béotie. ). Immédiatement après étaient les alliés d’Arcadie; puis les mille soldats d'élite, auxquels depuis longtemps la ville d’Argos fournissait à ses frais l’instruction militaire; ensuite les autres Argiens, et après eux leurs alliés de Cléones et d’Ornées [*](Les villes de Cléones el d’Ornées étaient sujettes des Àrgiens. Thucydide les appelle alliées, parce que, pour les Athéniens, ces deux mots étaient ordinairement synonymes. ) ; enfin les Athéniens à l’extrême gauche, soutenus par leurs cavaliers.
Telles furent les dispositions des deux armées. Les Lacédémoniens parurent supérieurs en nombre ; cependant je ne saurais indiquer au juste le chiffre des uns et des autres, ni en détail ni en totalité. Le nombre des Lacédémoniens était ignoré à cause du mystère de leur gouvernement ; d'autre part on ne peut s'en rapporter aux exagérations de l’orgueil national. Toutefois le calcul suivant permet d’évaluer la force numérique de l’armée lacédémonienne. Sept bataillons figurèrent à cette journée, sans compter les Scirites au nombre de six cents. Chaque bataillon contenait quatre pentécostys; chaque pentécostys quatre énomoties. Dans chaque énomotie quatre hommes formaient le premier rang. Ils ne se placèrent pas tous sur la même hauteur, mais au gré de chaque locbage; en général cependant ils étaient sur huit de hauteur. Dans toute la ligne, déduction faite des Scirites, le front se composait de quatre cent quarante-huit combattants [*](Le front de bataille étant composé de quatre cent quarante-huit hommes sur huit de hauteur, donne trois mille cinq cent quatre-vingt-quatre, et avec les six cents Scirites, un total de quatre müle cent quatre-vingt-quatre combattants. Ce chiffre ne comprend que les hoplites, qui seuls se rangeaient en phalange. Il faut y joindre les cavaliers, les troupes légères, très-nombreuses dans l’armée lacédémonienne, et enfin les alliés, car le calcul de Thucydide ne s’applique qu’aux Lacédémoniens proprement dits. ).
Quelques instants avant la rencontre, les généraux des deux armées exhortèrent leurs soldats. Aux Mantinéens ils rappelèrent qu’ils allaient combattre pour la patrie, comme aussi pour l’empire ou pour l’esclavage ; qu’il s'agissait pour eux de conserver la jouissance de l’un et de ne pas retomber dansl’autre. Aux Argiens, qu’ils devaient reprendre leur ancienne suprématie, reconquérir la possession, jadis égale, du Pélopo-nèse, et tirer vengeance de voisins mal intentionnés. Aux Athéniens, qu’ils étaient glorieux, en combattant au milieu de tant et de si braves alliés, de ne le céder à personne en vaillance; qu’une fois vainqueurs des Lacédémoniens dans le Péloponèse, ils étendraient, ils affermiraient leur domination, et n’auraient plus à redouter d’invasion étrangère. Telles furent les exhortations adressées aux Argiens et à leurs alliés. Les Lacédémoniens, en hommes de courage, s’excitaient individuellement et tous ensemble, par des chants guerriers [*](Ces chants de guerre étaient sans doute du genre des anapestes (μέλη ἐμβατήρια) du poète Tyrtée, dont quelques vers nous ont été conservés; mais nullement de ses élégies. ), à se souvenir de l’instruction qu’ils avaient reçue. Ils savaient qu’un
Ensuite les deux armées s’ébramlèrent. Les Argiensd leurs alliés s’avançèrent à pas accélérés et avec véhéraencer tes Lacédémoniens lentement et au son d’un grand nombre de flûtes [*](Les Spartiates étaient les seuls Grecs qui se servissent de flûtes comme musique militaire. Les Crétois marchaient au son des lyres; les autres Grecs avaient généralement des trompettes, dont l’invention est attribuée aux Tyrrhéniens. Ce qui a pu faire naître l’opinion que c’était, chez les Lacédémoniens, un usage religieux, c’est qu’à Sparte les auîètes ou joueurs de flûte formaient une corporation composée de certaines familles, comme les prêtres et les devins. ) ; ce qui n’est point un usage religieux, mais ua moyen de régler leur marche par la cadence et d’éviter que leur ligne ne se rompe, comme il advient fréquemment aux grands corps d’armée allant à l’ennemi.
On était encore en marche, lorsque le roi Agis employa la manoeuvre suivante. En général, dans les rencontres, les armées sont sujettes à obliquer sur la droite, en sorte que, de part et d’autre, on déborde la gauche de l’ennemi. Cela tient à ce que chacun tâche instinctivement d’abriter la partis démasquée de son corps derrière le bouclier de son voisrâ, et qu’on espère être mieux protégé en ne laissant aucun vide. Cette déviation est occasionnée par le guide de droite, qui cherche toujours à dérober aux ennemis le flanc non couvert par le bouclier; les autres suivent par l’effet de la même crainte· En cette journée, les Mantinéens débordaient de beaucoup Fade des Scirites, tandis que les Lacédémoniens et les Tégéates, vn leurs supériorité numérique, débordaient encore plus les Athéniens. Agis, craignant donc que sa gauche Ue fût tournée, et trouvant que les Mantinéens s’étendaient trop, enjoignit aux Scirites et aux soldats de Brasidas de se détacher du corps de bataille pour aller se placer en face des Mantinéens. En même temps il prescrivit aux polémarques Hipponoïdas et Aristoelès de prendre deux bataillons et de fermer la brèche. H pensait que sa droite n’en serait pas trop affaiblie et que l’aile opposée aux Mantinéens gagnerait en solidité.
Mais l’ordre ayant été donné avec précipitation et an moment de la rencontre, Aristoelès et Hipponoïdas refusèrent d’obéir; ce qui plus tard lès fit exiler de Sparte comme coupables de lâcheté. Aussi les ennemis eurent-ils le temps de commencer l’attaque; et, lorsque Agis, voyant que lès deux bataillons ne se portaient pas vers les Scirites, eut rappelé ces derniers à leurposte, il ne leur fut plus possible de le reprendre ni de combler le vide. Mais si, en cette occasion, les Lacédé-moniens se montrèrent à tous égards inférieurs en tactique, ils se relevèrent par leur valeur. Quand le combat fut engagé, l'aile droite où étaient les Mantinéens culbuta lès· Scirites et tes
Ce point enfoncé, l’armée des Argiens et de leurs alliés se trouva coupée en deux. Pendant ce temps, l’aile droite des Lacédémoniens et des Tégéates tourna les Athéniens qu’elle débordait, et les mit dans une fâcheuse situation, car ils étaient cernés d’un côté et rompus de l’autre. De toute l’armée ils auraient eu le plus à souffrir, sans l’appui de leur cavalerie. Mais par bonheur Agis, apprenant la défaite de son aile ganche opposée aux Mantinéens et aux mille Argiens, ordonna à toute l’année de se rabattre à son secours. Ce mouvement dégagea les Athéniens et leur permit d'effectuer à leur aise leur retraite, de concert avec les Argiens vaincus. Dès lors les Mantinéens, leurs alliés et les Argiens d’élite ne songèrent plus à presser l’ennemi ; mais, voyant la déroute des leurs et l’approche des Lacédémoniens, ils se mirent en fuite. Les Mantinéens perdirent beaucoup de monde; les Argiens d’élite s’échappèrent pour la plupart. Du reste la fuite et la retraite ne furent ni violentes ni prolongées ; car les Lacédémoniens ont pour principes de combattre obstinément et de pied ferme tant que Tenuem résiste; mais, une fois la fuite déclarée, leur poursuite dure peu et ne s’étend pas loin.
Telles furent, à peu de chose près, les particularités de cette bataille, la plus sanglante que les Grecs se fussent livrés depuis longtemps, et à laquelle concoururent les villes les plus importantes. Les Lacédémoniens, après s’étre rangés en avant des ennemis tués[*](Manière de constater la victoire et la possession du champ de bataille, en forçant lés ennemis à demander une trêve pour l’enlèvement de leurs morts. Voyez liv. IV, chap. xcvii. ), érigèrent sur-le-champ uu trophée et dépouillèrent les cadavres. Ils relevèrent leurs propres morts, les rapportèrent à Tégée pour leur donner la sépulture, etrendirent par composition ceux de l’ennemi. Il périt en cette
Peu avant la bataille, Plistoanax, second roi de Lacédémone, partit de cette ville avec un renfort composé des plus jeunes et des plus vieux citoyens; mais, parvenu à Tégée, il apprit la victoire d’Agis et rebroussa chemin. Les Lacédémoniens firent contremander les Corinthiens et les alliés d’en dehors de l’Isthme. Comme on était dans le mois Caméen, eux-mêmes se retirèrent, après avoir licencié leurs alliés, et allèrent célébrer les fêtes. Par ce seul fait d’armes, ils rachetèrent aux yeux des Grecs leur désastre de Sphactérie et se lavèrent du reproche d’irrésolution et de lenteur. On reconnut que la fortune avait bien pu les trahir, mais que par le courage ils étaient toujours les mêmes.
La veille de cette action, les Épidauriens en masse avaient envahi l’Argolide qu’ils croyaient sans défense, et avaient massacré une bonne partie des hommes laissés par les Argiens à la garde du pays. Mais les Mantinéens ayant été renforcés après la bataille par trois mille hoplites d'Élis et par une nouvelle troupe de mille Athéniens, ces forces réunies se portèrent incontinent contre Ëpidaure, pendant que les Lacédémoniens célébraient les fêtes Carnéennes. Ils se mirent à investir la ville en se partageant les travaux; mais ils ne tardèrent pas à y renoncer. Les Athéniens seuls achevèrent leur tâche, et fortifièrent la pointe où se trouve le temple de Junon[*](Pausanias (II, xxix) : a Le temple qui est près du port (d’Épidaure), sur un promontoire qui s’avance dans la mer, est celui de Junon.» ). Cet ouvrage terminé, on y plaça une garnison de toutes les troupes alliées, et chacun regagna ses foyers. Sur quoi Pété finit.
Dès les premiers jours de Phiver suivant, les Lacédémoniens, après les fêtes Carnéennes, se remirent en campagne; et, s’étant avancés jusqu’à Tégée, ils firent porter à Argos des paroles d’accommodement. Il y avait dans cette ville des hommes qui leur étaient dévoués et qui désiraient abolir le régime démocratique. L’issue de la bataille leur fournit une occasion excellente d'amener la multitude à des vues de conciliation. Leur plan était de ménager avec Lacédémone d’abord une trêve, puis une alliance, et de s’attaquer ensuite au gouvernement populaire. Lichas, fils d’Arcésilaos, proxène des Argiens, se rendit à Argos avec mission des Lacédémoniens.
Il était porteur de deux propositions différentes, selon qu’ils opteraient pour la guerre ou pour la paix. Malgré l’opposition d’Alcibiade qui se trouvait alors à Argos, les partisans de Lacédémone, devenus plus audacieux, persuadèrent au peuple d’accepter les ouvertures pacifiques. Elles étaient conçues en ces termes :