History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Il dit, et, en sa qualité d’éphore, il mit lui-même la question aux voix dans l’assemblée des Lacédémoniens. Or, comme ceux-ci votent par^ acclamation et non au scrutin, il prétendit ne pas discerner quel était le cri le plus fort; et voulant les exciter encore plus à la guerre en rendant le suffrage manifeste : « Que ceux de vous, dit-il, qui regardent la paix comme rompue et les Athéniens comme coupables, se lèvent et passent de ce côté; que ceux qui sont d’un avis contraire passent de l’autre. » Les Lacédémoniens se levèrent et se partagèrent; une majorité imposante déclara le traité rompu. En conséquence, ils rappelèrent les alliés, et leur dirent qu’ils donnaient tort aux Athéniens; mais qu’ils voulaient, avant de leur déclarer la guerre, réunir tous les alliés et leur soumettre la question, afin d’agir d’un commun accord. Là-dessus les alliés s’en retournèrent; les députés d’Athènes partirent plus tard, après s’être acquittés de leur mandat. Ce vote de l’assemblée, qui déclarait le traité rompu, eut lieu la quatorzième année de la paix de trente ans, conclue après la conquête de l'Eubée[*](L’an 432 avant Jésus-Christ.).

45

En proclamant la rupture du traité et en votant la guerre, les Lacédémoniens cédèrent moins aux sollicitations de leurs alliés qu’à la crainte que leur causaient les Athéniens. Ils les voyaient déjà maîtres d’une partie de la Grèce, et ils avaient peur qu’ils ne s'agrandissent encore davantage.

Il me reste maintenant à raconter de quelle manière les Athéniens étaient parvenus à la suprématie qui contribua tant à leur puissance.

Quand les Mèdes eurent quitté l'Europe, vaincus par les Grecs sur terre et sur mer; quand ceux d’entre eux qui, avec leurs vaisseaux, avaient cherché un refuge à Mycale, eurent été détruits, Léotychidas, roi des Lacédémoniens, qui commandait les Grecs en cette journée, retourna dans sa patrie avec les alliés du Péloponèse. Les Athéniens au contraire, avec les alliés de l’Ionie et de l’Hellespont déjà révoltés contre le roi, continuèrent la guerre et mirent le siège devant Sestos, que les Mèdes occupaient. Ils passèrent l’hiver sous les murs de cette place, dont ils s’emparèrent après la retraite des Barbares. Ensuite ils abandonnèrent l’Hellespont, et chacun regagna ses foyers.

A peine l'Attique avait-elle été évacuée parles Barbares, que les Athéniens faisaient revenir des lieux où ils les avaient mis à l’abri leurs enfants, leurs femmes et le restant de leure effets; après quoi ils se disposèrent à reconstruire leur ville et leurs murailles. Il ne subsistait presque rien de l’ancienne enceinte ; la plupart des maisons étaient tombées, sauf quelques-unes, qu'avaient occupées les principaux des Perses.

Les Lacédémoniens, informés de ce projet, envoyèrent une ambassade à Athènes. Pour leur part, ils auraient vu avec plaisir que ni cette ville ni aucune autre n’eût de murailles; mais ils obéissaient surtout aux instances de leurs alliés, inquiets de l’essor qu’avait pris la marine autrefois nulle des Athéniens, et de l’audace déployée par eux dans la guerre Médique. Les députés invitèrent donc les Athéniens à ne point fortifier leur ville, mais plutôt à se joindre à eux pour détruire tous les remparts élevés en dehors du Péloponèse. Ils dissimulaient leurs intentions et leurs défiances ; mais il ne fallait pas, disaient-ils, que le Barbare, si jamais il revenait, pût trouver une place forte qui servît de base à ses opérations, comme cela s’était vu en dernier lieu pour Thèbes[*](On sait que Thèbes servit de quartier général à Mardonius, et qu’après la bataille de Platée, les Grecs furent obligés de faire le siège de cette ville (Hérodote, liv. IX, ch. xin et lxxxvi). ). Le Péloponèse, ajoutaient-ils, peut offrir à tous les Grecs une retraite et une place d’armes suffisantes.

46

Les Athéniens, d’après l’avis de Themistocle, congédièrent à l’instant cette ambassade, avec réponse qu'ils allaient députer à Lacédémone sur ce sujet. Thémistocle demanda d’être envoyé lui-même sur-le-champ. Il conseilla de ne point faire partir aussitôt ceux qu’on lui donnerait pour collègues, mais de les retenir jusqu’à ce que la muraille eût atteint la hauteur strictement nécessaire pour soutenir un assaut. Toute la population, hommes, femmes et enfants, eut ordre de mettre la main à l’œuvre, sans épargner ni édifice public ni construction particulière, mais de démolir indistinctement tout ce qui pouvait servir aux travaux. Après avoir donné ces instructions et laissé entendre qu’il femit le reste à Lacédémone, Thémistocle partit. Arrivé tlans cette ville, au lieu de se rendre auprès des autorités, H usa d'atermoiements et de défaites ; et lorsqu’on lui demandait pourquoi il ne se présentait pas à l’assemblée, il répondait qu’il attendait ses collègues demeurés en arrière pour terminer quelques affaires, mais qu’il comptait sur leur arrivée prochaine et s’étonnait de leur retard.

On croyait Thémistocle, parce qu’on avait pour lui de l’affection. Cependant il arrivait des gens qui annonçaient d’une manière positive qu’Athènes se fortifiait et que le mur prenait déjà de l’élévation; il n’y avait plus moyen d’en douter. Alors Thémistocle, s’apercevant de l’effet produit par ces nouvelles, conseilla aux Lacédémoniens de ne pas ajouter foi à de vaines rumeurs, mais d’envoyer quelques-uns de leurs concitoyens les plus considérés, qui feraient un rapport fidèle après avoir vu les choses par leurs yeux. On les fit donc partir. Thémistocle manda sous main aux Athéniens de retenir ces députés d'une manière aussi peu apparente que possible, jusqu’à ce que lui-même et ses collègues fussent de retour (ceux-ci l’avaient enfin rejoint et lui avaient appris que le mur était suffisamment élevé; c’étaient Abronychos fils de Lysiclès et Aristide fils de Lysimachos). Il craignait que les Lacédémoniens, une fois informés, ne les laissassent plus aller. Les Athéniens firent ce qu’il demandait. Alors Thémistocle leva le masque ; et, se présentant aux Lacédémoniens, il leur déclara sans détour qu’Athènes était fortifiée et désormais en état de protéger ses habitants; que si les Lacédémoniens et leurs alliés voulaient y envoyer une députation, ce devait être à l’avenir comme à des hommes qui connaissaient également leurs propres intérêts et ceux de la Grèce; qu’en effet, lorsqu’ils avaient jugé utile d’abandonner leur ville et de monter sur leurs vaisseaux, ils avaient su prendre

47
à eux seuls cette résolution courageuse; et que, dans les délibérations communes, ils ne s'étaient montrés inférieurs en intelligence à personne. Si maintenant ils avaient trouvé bon de fortifier leur ville, c’était dans l’intérêt des alliés non moins que dans le leur ; çar il n’était pas possible, avec des positions inégales, d’apporter dans les discussions communes un esprit d'ensemble et d'égalité. Il fallait donc, ajoutait-il, ou que tous les alliés fussent dépourvus de murailles, ou qu’on approuvât ce qu’Athènes avait fait.

Les Lacédémoniens, à ce discours, ne laissèrent percer aucune aigreur contre les Athéniens. En leur envoyant une ambassade, ils n’avaient pas prétendu, dirent-ils, leur donner^ des ordres, mais simplement un conseil dicté par l’intérêt de tous. A cette époque ils étaient dans les meilleurs termes avec les Athéniens, à cause du zèle dont ceux-ci avaient fait preuve dans la guerre Médique; toutefois ils éprouvaient un secret déplaisir d’avoir manqué leur but. Quant aux députés, ils se retirèrent les uns et les autres sans récriminations.

C'est ainsi que les Athéniens fortifièrent leur ville dans un court espace de temps. L’ouvrage porte encore aujourd’hui des traces de la précipitation avec laquelle il fut exécuté. Les fondements sont en pierres de toute espèce, non appareillées, telles que chacun les apportait. On y fit entrer jusqu’à des colonnes sépulcrales et des marbres sculptés. L’enceinte de la ville fut élargie en tout sens[*](C’est pour cela qu’on fut obligé de démolir les sépulcres les plus voisins de l’ancienne enceinte ; autrement ils eussent été enclavés dans la nouvelle ville, contrairement à la loi. ). L’empressement faisait qu’on remuait tout sans distinction.

Thémistocle persuada aussi d’achever les constructions du Pirée, précédemment commencées pendant l’année de son ar-chontat [*](On n’est pas d’accord sur la date de l’archontat de Thémistocle. Clinton [Fasti Hellenici) le place en 481 av. J. C. ). Cet endroit lui paraissait favorable à cause de ses trois ports naturels[*](Les trois darses du Pirée s’appelaient Zéa, Aphrodision et Can-thaTos. ); il pensait que les Athéniens trouveraient dans la marine les moyens de parvenir à une grande puissance. Le premier il osa dire qu’il fallait s’adonner à la mer, et il fit aussitôt mettre la main à l’œuvre. D’après son avis, on donna au mur l’épaisseur qu’on lui voit aujourd’hui autour du Pirée; les pierres étaient apportées par des chariots attachés deux à deux[*](Ceci doit s’entendre de chars à deux roues, attachés de manière à n’en former qu’un, ressemblant à un fardier. La pierre, trop grosse pour être placée sur un seul char, était supportée d’un bout par le premier train, de l’autre par le second, comme ceîa se pratique pour le transport des longues pièces de bois. ); dans l’intérieur il n’y avait ni blocage ni mortier, mais le mur consistait en grosses pierres de taille, jointes par des crampons defer scellés avec du plomb. La hauteur totale ne fut guère que la moitié de ce que projetait Thémistocle ; il eût voulu que l’élévation et l’épaisseur de ces murailles défiassent tous les assauts, et il pensait que pour la défense il suffirait d’un petit nombre des hommes les moins valides, tandis que les autres

48
monteraient sur les vaisseaux. La grande importance qu’il attachait à la marine venait sans doute de ce qu’il avait reconnu que l’armée du roi avait l’accès plus facile par mer que par terre. A ses yeux, le Pirée était plus essentiel que la ville haute; souvent il conseillait aux Athéniens, s’ils venaient à être pressés sur terre, de descendre au Pirée et de s’y défendre sur leurs navires envers et contre tous.

Ce fut ainsi que les Athéniens élevèrent leurs remparts et les autres constructions, immédiatement après la retraite des Mèdes.

Cependant Pausanias, fils de Cléombrotos, avait été •envoyé de Lacédémone, avec vingt vaisseaux du Péloponèse, en qualité de général des Grecs. Cette armée, renforcée de trente vaisseaux athéniens et d’une foule d’alliés, se porta d’abord contre l’île de Cypre, qu’elle soumit en grande partie ; de là, toujours sous le même commandement, elle alla attaquer Byzance, que les Mèdes occupaient, et qu’elle prit à la suite d’un siège.

Mais le caractère altier de Pausanias ne tarda pas à indisposer les Grecs, surtout les Ioniens et tous ceux qui s’étaient récemment soustraits à la domination du roi. Ils s’adressèrent donc aux Athéniens et les prièrent, en vertu de leur commune origine, de se placer à leur tête et de les protéger au besoin contre les violences de Pausanias. Les Athéniens accueillirent cette demande et s’occupèrent de prendre les mesures les plus convenables pour être en état d’y satisfaire.

Sur ces entrefaites, les Lacédémoniens rappelèrent Pausanias pour lui faire son procès à l’occasion des faits dont ils avaient été informés. Les Grecs qui arrivaient à Lacédémone étaient unanimes à l’accuser, et son généralat ressemblait fort à la tyrannie . Il fut précisément rappelé au moment où les alliés, sauf les troupes du Péloponèse, passaient sous les ordres des Athéniens. De retour à Lacédémone, il fut condamné sur quelques chefs particuliers, mais absous des accusations les plus graves; on l’accusait surtout de médisme[*](Attachement au parti des Mèdes, crime de haute-trahison. Voyez I, cxxxv; III, Lxn, lxiv. ), et le reproche paraissait fondé. On lui retira donc le commandement ; on fit partir à sa place, avec peu de monde, Dorcis et d’autres, dont les alliés déclinèrent l’autorité. Ces chefs aussitôt se retirèrent; dès lors les Lacédémoniens n’en envoyèrent plus. L’exemple de Pausanias leur faisait craindre qu’ils ne se pervertissent en sortant du pays ; d’ailleurs ils étaient las de la guerre Médique; ils se reposaient sur les Athéniens du soin de la conduire, car en ce moment les deux peuples étaient amis.

49

Ainsi investis du commandement par l’adhésion spontanée des alliés, auxquels Pausanias s'était rendu odieux, les Athéniens déterminèrent quelles villes auraient à fournir de l'argent ou des vaisseaux pour la continuation de la guerre contre les Barbares. Le prétexte fut de ravager le pays du roi par droit de représailles. De cette époque date chez les Athéniens l'institution des Hellénotames[*](Trésoriers des Grecs. Ces magistrats athéniens, probablement au nombre de dix, étaient chargés de recevoir le tribut que les alliés apportaient à Athènes à l’époque des fêtes de Bacchus. Le trésor commun ne resta pas longtemps à Délos ; les Athéniens le transportèrent à Athènes, et en disposèrent comme d'un reverrti. Les assemblées de Délos cessèrent pareillement. ), magistrats chargés de recevoir le tribut, car tel fut le nom donné à cette contribution. Ce tribut fut fixé dans Γ origine à quatre cent soixante talents[*](Environ deux millions cinq cent mille francs. Au commencement de la guerre du Péloponèse, la somme était de six cents talents (II, xm), parce que les défections successives avaient été punies par une aggravation de tribut. ). Le trésor fut déposé à Délos, et les assemblées se tinrent dans le temple.

Placés à la tête d'alliés originairement indépendants et ayant droit de suffrage dans des assemblées générales, les Athéniens étendirent peu à peu leur domination, soit par les armes, soit par des mesures administratives, dans l’intervalle compris entre la guerre Médique et celle-ci. Ils eurent tour à tour à combattre les Barbares, leurs propres alliés révoltés, et enfin les Péloponésiens, qu’ils rencontraient dans tous leurs différends. A ce propos je me suis permis une digression, parce que tous mes devanciers ont laissé cette période dans l’ombre, et se sont bornés à raconter Thistoire de la Grèce avant ou pendant les guerres Médiques. Le seul qui ait abordé ce sujet, Hellanicos, dans son histoire d’Athènes[*](Hellanicos, ancien historien grec, né à Myti-lène dans l’île de Lesbos. Il est classé parmi les logographes et doit être antérieur à Hérodote. Les ouvrages attribués à Hellanicos, et dont nous ne possédons guère que les titres, sont fort nombreux. Son histoire d’Athènes (’AriKç), dont il est ici question, était divisée en quatre livres, et remontait jusqu’aux temps fabuleux. ), n’a fait que l'effleurer, sans indiquer exactement la chronologie. D’ailleurs cet exposé achèvera de faire connaître comment s'établit l’empire des Athéniens.

D’abord, sous la conduite de Cimon, fils de Miltiade, ils assiégèrent et prirent sur les Mèdes la ville d'Éïon, à l’embouchure du Strymon. Les habitants furent vendus comme esclaves. Ensuite ils firent subir le même traitement à la population de Scyros, île de la mer Égée, habitée par des Dolopes, et qu'ils repeuplèrent par une colonie d’Athéniens[*](L'île de Scyros est voisine de la Thessalie. Ses habitants exerçaient la piraterie. Ils furent condamnés par les Àm-phictyons pour avoir capturé des vaisseaux qui se rendaient à Delphes. Les Athéniens furent chargés de l'exécution de la sentence. De la dlme du butin fait à Scyros, ils élevèrent à Athènes le célèbre temple de Thésée, Cimon ayant soi-disant retrouvé dans l’île les ossements de ce héros. ). Ils soutinrent aussi contre les Carystiens[*](Carystos, ville située sur la côte méridionale de l'Eubée, au pied du mont Ocha. Le reste de nie était tributaire des Athéniens. ) une guerre, à laquelle le reste del’Eubée demeura étranger· et qui se termina par un accommodement. Après cela, les Naxiens se révoltèrent ; mais ils furent attaqués, assiégés et soumis. Ce fut la première ville alliée qui fut privée de la liberté, contrairement au droit établi ; plus tard les autres éprouvèrent successivement le même sort.

Les défections provenaient de plusieurs causes, en particulier de la difficulté qu’éprouvaient la plupart des alliés à fournir régulièrement l’argent, les vaisseaux et même les hommes. Les Athéniens usaient de rigueur, et se faisaient haïr en

50
employant la contrainte envers des gens qui n’avaient ni l’habitude ni la volonté d’endurer les fatigues de la guerre[*](Sur la répugnance des Ioniens pour le service militaire, voyez Hérodote, VI, xii. ). Leur commandement avait cessé d’être accepté avec plaisir; dans les expéditions communes, ils ne traitaient plus les alliés en égaux, et il leur était facile de réprimer les rébellions. La faute en était aux alliés eux-mêmes ; la plupart, dans leur répugnance à porter les armes et à s’éloigner de leurs foyers, s’étaient imposé, en place des vaisseaux à fournir, une somme d’argent équivalente Ainsi la marine athénienne s’accroissait avec les fonds fourn s parles alliés; et lorsque ceux-ci venaient à se révolter, ils se trouvaient engagés dans la guerre sans avoir ni l’expérience ni les forces nécessaires pour la soutenir.

Ce fut après ces événements que les Athéniens et leurs alliés livrèrent un combat sur terre et un combat naval contre les Mèdes à l’embouchure du fleuve Eurymédon en Pamphylie. Les Athéniens, commandés par Gimon, fils de Miltiade, remportèrent dans le même jour une double victoire. Ils prirent ou détruisirent les trirèmes phéniciennes au nombre de deux cents.

Quelque temps après eut lieu la défection des Thasiens, occasionnée par un différend au sujet des comptoirs et des mines qu’ils possédaient sur la côte de Thrace, située en face de leur île [*](Ce sont les fameuses mines d'or et d'argent du mont Pangée, dans la Thrace méridionale, entre les fleuves Strymon et Nestos. Ces mines avaient été découvertes par les Phéniciens; puis les Grecs les avaient exploitées ; enfin elles tombèrent entre les mains de Philippe de Macédoine, qui en tira un revenu considérable, et bâtit dans le voisinage la ville de Philippes. ). Les Athéniens dirigèrent une flotte contre Thasos, furent vainqueurs sur mer et opérèrent un débarquement.

Vers la même époque, ils envoyèrent dix mille colons, Athéniens et alliés, pour s’établir sur le bord du Strymon, à l’endroit alors appelé les Neuf-Voies et maintenant Amphipolis[*](Amphipolis était situé à l'endroit où le Strymon sort du lac Cer-cinitis, à deux lieues de la mer. Aristagoras de Milet avait essayé d'y établir une colonie; mais elle avait été détruite par les Édoniens (Hérodote, V, cxxiv, ofi l’endroit est nommé Myrcinos). Attirés par les avantages de cette position, les Athéniens renouvelèrent deux fois la même entreprise, d’abord sans succès; mais enfin, en 437 av. 3. C., sous -la conduite d'Hagnon, ils triomphèrent de la résistance des Thraces, et fondèrent définitivement la ville d'Amphipolis. Voyez liv. IV, ch. en. ). Ils s’emparèrent des Neuf-Voies sur les Édoniens; mais s’étant avancés dans l’intérieur des terres, ils furent taillés en pièces àDrabescos dans TÉdonie par les forces réunies des Thraces, qui voyaient de mauvais œil l’établissement formé aux Neuf-Voies.

Cependant les Thasiens, vaincus en plusieurs rencontres et assiégés, eurent recours aux Lacédémoniens, et les prièrent de faire en leur faveur une diversion en Àttique. Ceux-ci leur en firent la promesse secrète, et ils auraient tenu parole, sans le tremblement de terre[*](Ce tremblement de terre eut lieu en 465 av. J. C. 11 renversa toute la ville de Sparte, excepté cinq maisons, et fit périr vingt mille personnes. Voyez Inodore de Sicile, IX, lxiii; Plutarque, Cimon, xvi; Pausanias, IV, χχιν; VII, xxv. ) dont les Hilotes et quelques-uns des Périèques[*](Les périèques de Laconie étaient les anciens habitants du pays, Achéens d’origine, qui furent soumis à une sorte de vasselage par les conquérants doriens. A la suite d'une révolte, un grand nombre d'entre eux furent réduits à la condition d’Hilotes ou d'esclaves publics. ), tels que les Thuriates et les Êthéens, prirent occasion pour s’insurger et se retirer sur le mont Ithome. La plupart de ces Hilotes descendaient des anciens Messéniens asservis dans le temps[*](Du temps de Thucydide, la Messénie était, depuis près de trois siècles, incorporée à la Laconie, et avait perdu son nom. Ethéa était en Laconie, Thuria en Messénie, à l’embouchure du Pamisos. Ithome est la célébré montagne qui, dans la première guerre de Messénie, avait servi de citadelle aux Messéniens. ) ; c’est ce qui fit donner à tous les révoltés le nom de Messéniens. Ainsi les Lacédémoniens eurent une guerre à soutenir centre les révoltés d’Ithome. Pour les Thasiens, après trois

51
ans de siège, ils capitulèrent avec les Athéniens, à condition de raser leurs murailles, de livrer leurs vaisseaux, de s’imposer une contribution immédiate et de payer régulièrement leur tribut à l’avenir, enfin d’abandonner leurs mines et toutes leurs possessions du continent.

Les Lacédémoniens, voyant se prolonger la guerre contre les insurgés d’Ithome, réclamèrent l’assistance de leurs alliés et notamment des Athéniens; ceux-ci vinrent en grand nombre sous la conduite de Cimon. Ce qui les avait fait appeler, c’était leur réputation d’habileté dans la tactique obsidionale. Mais comme, malgré leur présence, le siège n’avançait pas, cette habileté parut en défaut; avec plus de vigueur, ils auraient dit emporter la place. C’est à 'la suite de cette campagne que les Lacédémoniens et les Athéniens commencèrent à se brouiller ouvertement. Le siège traînant en longueur, les Lacédémoniens appréhendèrent la turbulence et l’audace des Athéniens, qu’ils regardaient d’ailleurs comme d’une race étrangère ; ils craignirent qu’en restant devant Ithome, ils ne finissent par prêter l’oreille aux suggestions des assiégés et par opérer quelque révolution. Aussi les congédièrent-ils seuls de leurs alliés, sous prétexte qu’ils n’avaient plus besoin d’eux, sans toutefois leur témoigner aucune défiance. Les Athéniens sentirent qu’on les renvoyait sans leur donner le véritable motif, et que l’on avait conçu contre eux quelque soupçon. Indignés de cette, offense gratuite, à peine furent-ils de retour dans leurs foyers que, brisant l’alliance conclue avec Lacédémone contre les Mèdes, ils se liguèrent avec les Argiens ses ennemis. Les deux peuples s’unirent également aux Thessaliens par des serments et par une convention.

Après dix ans de siège, les révoltés d’Ithome, réduit aux abois, capitulèrent avec les Lacédémoniens. Ils s’engagèrent, sous la foi d’un traité, à sortir du Péloponèse et à n’y jamais rentrer, sous peine pour celui qui serait pris de devenir l’esclave de quiconque le saisirait. Précédemment il était venu de Delphes un oracle ordonnant aux Lacédémoniens de laisser aller le suppliant de Jupiter Ithomatas[*](Le sommet du mont Ithome, de même que celui de toutes les hautes montagnes de la Grèce, était consacré à Jupiter. Ce dieu y avait un autel entouré d'une encéinte en pierres brutes. Voyez Pausanias, ΠΙ, χχνι ; IV, v. ). Ils sortirent donc avec leurs enfants et leurs femmes. Les Athéniens, en haine des La. cédémoniens, accueillirent ces fugitifs, et leur cédèrent la ville de Naupacte, qu’ils avaient prise depuis peu sur les Locriens-Ozoles.

Les Mégariens entrèrent aussi dans l’alliance d’Athènes et se détachèrent de Lacédémone, à cause de la guerre que leur fais

52
saient les Corinthiens pour des limites territoriales. Ainsi les Athéniens devinrent maîtres de Mégare et de Pagæ[*](Place maritime, appartenant à la Mégaride, et située au N. de ce pays, sur le golfe de Corinthe. Elle occupait un passage menant en Béotie. ) ; ils construisirent pour les Mégariens les longs murs qui vont de la ville à Niséa[*](Port de Mégare, à 18 stades de cette ville et sur le golfe Saro-nique. Voyez liv. III, ch. u, note 3. ), et en prirent eux-mêmes la garde. Ce fut le principal motif de la haine implacable des Corinthiens contre les Athéniens.

Sur ces entrefaites, le Libyen Inaros, fils de Psammi-tichos et roi des Libyens qui confinent à l’Égypte, parti de Maréa, ville située au-dessus de Pharos [*](Petite île située sur la côte d’Égypte et célèbre par son fanal. Alexandre la relia au continent par une chaussée de 7 stades pour former le port d’Alexandrie. — Maréa était une ville de la baàse Égypte, à l’extrémité N. O. près de la bouche Canopique et du lac Maréotis, qui lui doit son nom. ), souleva contre' le roi Artaxerxès la majeure partie de l’Égypte; et, devenu souverain de cette contrée, il appela les Athéniens. Ceux-ci se trouvaient alors en Cypre avec deux cents vaisseaux d’Athènes et des alliés. Ils quittèrent cette île pour se rendrè à l’invitation d’Inaros, remontèrent le Nil, et, maîtres de ce fleuve ainsi qu£ des deux tiers de Memphis, ils attaquèrent le troisième quartier, nommé le Mur Blanc[*](Quartier de Memphis, ainsi appelé, dit le scholiaste, parce qu’il était construit en pierres de taille, tandis que le reste des murailles de Memphis était en briques rouges. Le Mur-Blanc servait de citadelle à la garnison que les Perses tenaient à Memphis. ), où s’étaient retirés les Perses, les Mèdes et les Égyptiens qui n’avaient pas pris part à la révolte.

Les Athéniens, ayant fait une descente sur le territoire des Haliens[*](District situé au S. de 1’Argolide, entre la ville d’Hermione et le promontoire Scylléon. ), furent battus par les Corinthiens et les Épidau-riens ; mais plus tard ils remportèrent une victoire navale près de Cécryphalée[*](Petite île du golfe Saronique, entre Égine et Êpidaure (aujourd’hui Angistri). ) sur les Péloponésiens et leurs alliés. Ensuite il s’éleva une guerre entre les Athéniens et les Éginètes. Ces deux peuples, assistés de leurs alliés, se livrèrent un grand combat naval devant Égine. Les Athéniens, commandés par Léocratès, fils de Strébos, furent vainqueurs, prirent soixante-dix vaisseaux, descendirent à terre et firent le siège de la ville.

Les Péloponésiens, voulant secourir les Éginètes, leur firent passer trois cents hoplites, qui avaient servi comme auxiliaires des Épidauriens et des Corinthiens. En même temps, les Corinthiens occupèrent les hauteurs de la Géranie[*](La Géranie, montagne faisant partie de la chaîne des monts Onéens, qui traversent l’isthme de Corinthe dans toute sa largeur en Mégaride. De Corinthe à Mégare il y a deux chemins, presque aussi mauvais l’un que l’autre : le premier traverse les défilés de la Géranie au centre de l’isthme, en passant par le village de Tripodiscos (aujourd’hui Dervenia) : c’était la route militaire ; le second n’est qu’un étroit sentier le long des roches Scironiennes, au bord du golfe Saronique (aujourd’hui Kaki Skala). ) et descendirent en Mégaride avec leurs alliés ; ils s’imaginaient que les Athéniens, dont les troupes étaient en partie à Égine, en partie en Égypte, seraient dans l’impossibilité de secourir Mégare, ou que du moins ils lèveraient le siège d’Égine. Les Athéniens ne rappelèrent point leur armée d’Égine; mais les vieillards et les jeunes gens restés dans la ville se portèrent à Mégare, sous la conduite de Myronidès. La bataille qu’ils livrèrent aux Corinthiens fut indécise, et les deux partis se séparèrent, sans que ni l’un ni l’autre s’estimât vaincu. Les Athéniens, qui avaient eu plutôt l’avantage, dressèrent un trophée après la retraite des Corinthiens. Ceux-ci, taxés de lâcheté par leurs vieillards restés à Corinthe, se préparèrent pendant douze jours ; après quoi ils

53
revinrent et se mirent, comme vainqueurs, à ériger un trophée en face de celui des Athéniens; mais ceux-ci accoururent de Mégare, massacrèrent ceux qui élevaient le trophée, en vinrent aux mains avec les autres et les mirent en fuite.

Les Corinthiens vaincus se retiraient ; un corps assez considérable d’entre eux, serré de près, manqua la route et alla donner dans une propriété particulière, entourée d’un grand fossé et sans issue. Les Athéniens s’en aperçurent, bloquèrent l’entrée avec leurs hoplites, répandirent à l’entour leurs troupes légères, et tuèrent à coups de pierres tous ceux qui s’y étaient engagés. Ce fut pour les Corinthiens une perte très-sensible. Le gros de leur armée regagna ses foyers.