History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.

CI. Le lendemain les Athéniens continuèrent leur muraille à partir du retranchement circulaire déjà élevé; ils fortifièrent l’escarpement qui domine le ma- [*](1 Ceux qui gardaient le nouveau mur.) [*](* Cette petite porte devait être une porte pratiquée dans le mur du Téménite pour aller à Épipolæ. La palissade dont il s’agit ici, distincte de celle qu’attaquaient les trois cents, devait servir de défense à la petite porte.) [*](8 Thucydide a dit plus haut que les Syracusains avaient joint le Téménitès à la ville pur une enceinte qui Tonnait comme un ouvrage avancé. x)

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rais et qui, de ce côté d’Épipolæ, fait face au grand port. Pour suivre la ligne la plus courte, la circonvallation devait descendre cette pente et rejoindre le grand port à travers la plaine et le marais. Pendant ce temps, les Syracusains sortirent de leur côté et se mirent à élever une nouvelle palissade qui partait de la ville et se dirigeait à travers le marais[*](La muraille des Athéniens s’étant avancée vers le grand port, ce nouveau retranchement des Syracusains dut Être reporté beaucoup plus au sud et très-près du port.); ils y ajoutèrent un fossé, pour empêcher les Athéniens de pousser leur mur de blocus jusqu’à la mer. Mais ceux-ci, après avoir achevé leurs ouvrages sur la pente, firent une nouvelle attaque contre la palissade et le fossé. Ordre fut donné à la flotte de s’avancer de Thapsos jusque dans le grand port de Syracuse, en doublant la pointe; l’armée, de son côté, descendit au point du jour d’Épipolæ dans la plaine, jeta sur le marais, à l’endroit où il est bourbeux et offre plus de solidité, des portes et de larges planches, et le traversa. Dès l’aurore, ils étaient maîtres de la palissade et du fossé, sauf une petite partie; — le reste fut également emporté plus tard. — Un combat s’engagea, où les Athéniens eurent l’avantage. L'aile droite des Syracusains s’enfuit vers la ville, la gauche vers le fleuve[*](Vers l’Anapos, en suivant la voie Hélorine.). Aussitôt les trois cents hommes d’élite de l’armée athénienne courent au pont pour couper le passage. Les Syracusains s’effrayent (car la plus grande partie de leur cavalerie se trouvait aussi sur ce point)[*](Et courait par conséquent risque d’élre coupée de la ville.); néanmoins ils courent aux trois cents, les enfoncent, et viennent donner sur l’aile droite des Athéniens. Le [*](1 La muraille des Athéniens s’étant avancée vers le grand port, ce nouveau retranchement des Syracusains dut Être reporté beaucoup plus au sud et très-près du port.) [*](2 Vers l’Anapos, en suivant la voie Hélorine.) [*](3 Et courait par conséquent risque d’élre coupée de la ville.)
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premier corps de cette aile s’effraye à son tour de cette brusque attaque : Lamachos, s’en apercevant, accourt de l’aile gauche pour les soutenir, avec un petit nombre d’archers et les Argiens; il franchit une espèce de fossé; mais il se trouve isolé avec le peu d’hommes qui l’ont accompagné de l’autre côté, et est tué avec cinq ou six de ceux qui l’entourent. Les Syracusains profitèrent du premier moment pour les enlever à la hâte et les mettre en lieu sûr, de l’autre côté du fleuve; puis, voyant le reste des Athéniens s’ébranler contre eux, ils opérèrent leur retraite.

CII Cependant ceux d’entre eux qui, d’abord, avaient fui vers la ville, voyant ce qui se passait, reprirent courage et revinrent à la charge contre ceux des Athéniens qui leur étaient opposés. En même temps ils détachèrent une division pour aller occuper le retranchement circulaire d’Épipolæ, qu’ils croyaient abandonné. Ils s’emparèrent en effet de l’avant-mur sur une longueur de dix plèthres et le renversèrent; mais quant à l’enceinte elle-même[*](Les circonvallations consistaient en deux murs parallèles crénelés et bordés de tours. Les troupes se logeaient dans l’espace intermédiaire .), Nicias, qui s'y trouvait retenu par une indisposition, les empêcha d’y pénétrer. Il ordonna aux valets d’armée de brûler les machines et tous les bois entassés en avant du retranchement; car il avait reconnu qu’en l’absence des soldats, ils n’étaient pas capables de résister autrement. Ce qu’il avait prévu arriva : l’incendie ne permit pas aux Syracusains d’approcher davantage, et ils se retirèrent. Déjà d’ailleurs arrivaient au secours de l’enceinte ceux des Athéniens qui avaient poursuivi l’en- [*](1 Les circonvallations consistaient en deux murs parallèles crénelés et bordés de tours. Les troupes se logeaient dans l’espace intermédiaire .)

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nemi dans la plaine; en même temps la flotte, partie de Thapsos, entrait dans le grand port, suivant ses instructions. A cette vue, les Syracusains qui étaient sur les hauteurs[*](A Épipolæ.) se retirèrent à la hâte, et toute leur armée rentra dans la ville. Ils se reconnaissaient désormais impuissants, avec les forces dont ils disposaient, à empêcher que le mur de blocus ne fût conduit jusqu’à la mer.

CIII. Après cela les Athéniens élevèrent un trophée, rendirent aux Syracusains leurs morts par convention, et retirèrent les corps de Lamachos et de ses compagnons. Toutes leurs forces de terre et de mer se trouvant alors réunies, ils purent enfermer les Syracusains d’un double mur de blocus partant d’Épipolæ et des escarpements pour aboutir à la mer. De toutes parts les provisions arrivaient d’ltalie à l’armée; un grand nombre de Sicèles, après avoir hésité d’abord, étaient venus les rejoindre comme alliés, et trois pentécontores leur étaient arrivées de Tyrsénie. Tout réussissait d’ailleurs au gré de leurs espérances : les Syracusains ne comptaient plus dès lors triompher par les armes, surtout en voyant qu’il ne leur arrivait aucun secours du Péloponnèse; ils parlaient entre eux d’accommodement, et faisaient des propositions à Nicias, seul investi du commandement depuis la mort de Lamachos. Mais il n’y avait rien là sur quoi on pût compter : il arrivait à Nicias une foule d’ouvertures, comme on pouvait l’attendre de gens hors d’eux mêmes et qui se voyaient enserrés de plus près qu’aqparavant. Dans la ville, la diversité des avis était plus grande encore ils [*](1 A Épipolæ.)

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en étaient venus, sous le coup des maux présents, à une sorte de défiance réciproque; on déposa les généraux sous lesquels avaient eu lieu ces revers, comme s’ils devaient être impiétés à leur mauvaise fortune ou à leur trahison, et on les remplaça par Héraclide, Euclès et Tellias.

CIV. Cependant le Lacédémonien Gylippos et les vaisseaux partis de Corinthe étaient déjà arrivés à Leucade, se portant en toute hâte au secours de la Sicile. Mais comme il ne leur parvenait que de mauvaises nouvelles, et que toutes également fausses s’accordaient à représenter Syracuse comme déjà entièrement investie, Gylippos, n’ayant plus d’espoir pour la Sicile, résolut du moins de préserver l’ltalie. De concert avec le Corinthien Pythès, il traversa en toute hâte le golfe d’Ionie, se dirigeant vers Tarente, avec deux vaisseaux lacédémoniens et deux de Corinthe. Les Corinthiens, outre dix vaisseaux qui leur appartenaient, en avaient équipé deux de Leucade et trois d’Ambracie, avec lesquels ils devaient plus tard prendre la mer. De Tarente, Gylippos se rendit à Thurium pour y négocier, en se réclamant du droit de cité qu’y avait autrefois obtenu son père[*](Cléandridas, adjoint au jeune Plistoanax pour commander dans une expédition contre Athènes, s’était laissé corrompre par Périclès, et avait été pour ce fait condamné à mort. Il s’était retiré à Thulium où il obtint le droit de cité.). Mais, n’ayant pu gagner les habitants, il reprit la mer et longea l’ltalie. Assailli, à la hauteur du golfe de Térina[*](Ce passage a embarrassé, avec raison tous les interprètes de Thucydide : le golfe de Térina se trouve sur la côte ouest du Brutium, taudis que Gylippe devait se trouver sur la côte est, dans le golfe de Scylacium ou dans celui de Tarcnte. 11 y a évidemment ici erreur, soit des copistes, soit de riiistorien.), par uh [*](1 Cléandridas, adjoint au jeune Plistoanax pour commander dans une expédition contre Athènes, s’était laissé corrompre par Périclès, et avait été pour ce fait condamné à mort. Il s’était retiré à Thulium où il obtint le droit de cité.) [*](* Ce passage a embarrassé, avec raison tous les interprètes de Thucydide : le golfe de Térina se trouve sur la côte ouest du Brutium, taudis que Gylippe devait se trouver sur la côte est, dans le golfe de Scylacium ou dans celui de Tarcnte. 11 y a évidemment ici erreur, soit des copistes, soit de riiistorien.)

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vent du nord qui souffle avec fureur en cet endroit, il fut entraîné au large, et, après avoir essuyé une violente tempête, revint aborder à Tarente, où il tira à sec pour les réparer ceux de ses vaisseaux qui avaient souffert de la tourmente. Nicias, informé qu’il était en mer, n’eut que du mépris pour le petit nombre de ses vaisseaux; — on avait éprouvé le même sentiment à Thurium : — il ne vit guère là qu’un armement de pirates et ne prit encore aucune précaution.

CV. A la même époque de cet été, les Lacédémoniens envahirent l’Argolide avec leurs alliés et ravagèrent une grande partie du territoire. Les Athéniens vinrent au secours des Argiens avec trente vaisseaux : c’était une infraction patente à la trêve entre Lacédémone et Athènes. Jusque-là ils avaient bien fait, de Pylos quelques courses pour piller; ils avaient pris part à la guerre des Argiens et des Mantinéens; mais quand ils opéraient des descentes c’était plutôt sur tout autre point du Péloponnèse qu’en Laconie. Invités même à plusieurs reprises par les Argiens à se montrer seulement en armes dans la Laconie, pour se retirer après avoir exercé avec eux quelques ravages insignifiants, ils s’y étaient refusés. Mais en cette circonstance, sous le commandement de Pythodoros, de Lespodias et de Démarate, ils prirent terre à ÉpidaureLiméra, à Proscis et sur une foule d’autres points, ravagèrent le pays, et fournirent par là aux Lacédémoniens un prétexte plus plausible de représailles. Après le départ des vaisseaux athéniens et l’évacuation du pays par les Lacédémoniens, les Argiens envahirent la Phliasie, ravagèrent une partie du territoire, tuèrent quelques habitants et rentrèrent chez eux.

I. Gylippos et Pythès, partis de Tarente après avoir réparé leurs vaisseaux, passèrent en côtoyant chez les Locriens-Épizéphyriens. Mieux informés alors que Syracuse n’était pas entièrement investie, et qu’il était possible d’y entrer avec une armée par Épipolæ, ils délibérèrent s’ils prendraient la Sicile par la droite et se risqueraient à pénétrer dans le port, ou s’ils cingleraient d’abord à gauche vers Himéra, afin de prendre avec eux les habitants et toutes les troupes qu’ils pourraient engager d’ailleurs, et de gagner Syracuse par terre. Ils se décidèrent à faire voile pour Himéra, d’autant mieux qu’on n’avait pas encore aperçu à Rhégium les quatre vaisseaux athéniens que Nicias s’était pourtant[*](Ce mot pourtant répond à ce que Thucydide dit, à la fin du livre précédent, du mépris de Nicias pour l’expédition de Gylippe.) décidé à envoyer, lorsqu’il apprit leur présence à Locres. Ils prévinrent cette croisière, passèrent le détroit, relâchèrent à Rhégium et à Messine et arrivèrent à Himéra. Là, ils persuadèrent aux habitants de les seconder dans cette guerre, en se joignant à eux et en fournissant des armes à ceux de [*](1 Ce mot pourtant répond à ce que Thucydide dit, à la fin du livre précédent, du mépris de Nicias pour l’expédition de Gylippe.)

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leurs matelots qui n’en n’avaient pas; car les vaisseaux furent tirés à sec à Himéra. Ils envoyèrent aussi prier les Sélinonlins de les rejoindre avec toutes leurs forces à un rendez-vous déterminé. Les habitants de Géla et quelques-uns des Sicèles promirent également d'envoyer des troupes, mais en petit nombre. Les Sicèles hésitaient bien moins alors à se rallier, grâce à la mort récente d’Archonidas, prince assez puissant, ami des Athéniens, qui régnait sur une partie des Sicèles de ces contrées; grâce aussi aux dispositions énergiques que Gylippos paraissait apporter de Lacédémone. Gylippos prit avec lui tous ceux de ses matelots et des soldats de marine qui étaient armés, au nombre de sept cents; Himéra avait fourni mille hommes, hoplites ou troupes légères, et cent cavaliers; quelques troupes légères et des cavaliers de Sélinonte; un petit nombre de soldats de Géla et les Sicèles formaient un autre corps de mille hommes; avec ces forces il se mit en marche pour Syracuse.

II. Les Corinthiens, partis de Leucade avec le reste des vaisseaux, firent de leur côté toute la diligence possible pour secourir Syracuse. Un de leurs généraux, Gongylos, parti le dernier avec un seul bâtiment, arriva le premier, un peu avant Gylippos. Il trouva les Syracusains près de s’assembler pour traiter de la cessation des hostilités. Il les en détourna et releva les courages en leur disant qu’il allait leur arriver encore d’autres vaisseaux, et que Gylippos, fils de Cléandridas, venait, de la part des Lacédéraoniens, se mettre à leur tête. Les Syracusains reprirent confiance et sortirent avec toutes leurs forces au-devant de Gylippos; car ils venaient d’apprendre que déjà

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il était à peu de distance. Gylippos, après avoir pris, en passant, Getæ, forteresse des Sicèles, et rangé son armée en bataille, arriva à Épipolæ; il y monta, comme auparavant les Athéniens, par Euryélos, et, uni aux Syracusains, alla attaquer les retranchements de l’ennemi. Au moment où il arriva, les Athéniens avaient déjà achevé les sept ou huit stades du double mur qui aboutissait au grand port, à part un petit espace au bord de la mer où ils travaillaient encore. De l’autre côté du retranchement circulaire, dans la direction de Trogilos en allant à l’autre mer, les pierres étaient déjà déposées sur la plus grande partie de l’espace; certaines portions étaient à moitié construites, d’autres achevées. Telle fut l’étendue du péril que courut Syracuse.

III. Les Athéniens, pris à l’improviste par l’attaque de Gylippos et des Syracusains, se troublèrent d’abord; cependant ils se mirent en bataille. Gylippos fit halte près d’eux et envoya premièrement un héraut leur déclarer que, s’ils voulaient évacuer la Sicile dans l’espace de cinq jours, emportant tout ce qui leur appartenait, il était prêt à traiter. Les Athéniens reçurent avec mépris ces propositions et renvoyèrent le héraut sans réponse. On se prépara ensuite de part et d’autre au combat. Gylippos, s’apercevant que les Syracusains étaient en désordre et avaient peine à former leurs rangs, ramena son armée dans un endroit plus ouvert. Mais comme Nicias ne fit pas sortir les Athéniens et se tint en repos dans ses retranchements, Gylippos, ne les voyant pas venir à sa rencontre, conduisit ses troupes sur la hauteur nommée Téménitès, et y bivouaqua. Le lendemain il ramena la plus grande par-

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lie de ses forces et les mit en bataille le long du retranchement des Athéniens, pour les empêcher de porter secours ailleurs. En même temps il envoya un détachement au fort Labdalon, le prit, et tua tous ceux qu’il y trouva. Cet endroit se trouvait hors de la vue des Athéniens. Le même jour les Syracusains prirent une galère athénienne en station dans le port.

IV. Les Syracusains et leurs alliés construisirent ensuite, à travers Épipolæ, un mur simple[*](Simple, par opposition au double mur des Athéniens. .) qui partait de la ville et se dirigeait transversalement vers les hauteurs[*](Ce mur se dirigeait de la ville au nord d’Épipolæ; il devait, comme celui qu’ils avaient précédemment dirigé du côté du grand port à travers le marais, couper les lignes des Athéniens et les empêcher de joindre Épipolæ à Trogilos. Le mot έγχάρσιον est pris ici dans le même sens que précédemment, il signifie transversalement, c’est-à-dire de manière à couper les travaux des Athéniens.) : par là, l’ennemi, s’il ne pouvait empêcher cette construction, se trouvait dans l’impossibilité de fermer sa ligne de blocus. Déjà les Athéniens, après avoir terminé le mur au bord de la mer[*](Sur le grand port.), avaient atteint les hauteurs[*](Au nord de Syké.) : Gylippos, sachant qu’il se trouvait sur ce point une partie faible, y monta la nuit avec son armée pour attaquer la muraille. Mais les Athéniens, qui bivouaquaient en dehors, s’en aperçurent et allèrent à lui. Gylippe, dès qu’il se vit découvert, retira ses troupes à la hâte. Les Athéniens donnèrent à ce mur plus d’élévation, se chargèrent eux-mêmes de le garder[*](C’était la partie la plus exposée, puisque le camp des Syracusains était dans le voisinage et que les communications de la ville avec l’extérieur restaient libres de ce côté.) et distribuèrent les alliés dans le reste du re- [*](1 Simple, par opposition au double mur des Athéniens. .) [*](2 Ce mur se dirigeait de la ville au nord d’Épipolæ; il devait, comme celui qu’ils avaient précédemment dirigé du côté du grand port à travers le marais, couper les lignes des Athéniens et les empêcher de joindre Épipolæ à Trogilos. Le mot έγχάρσιον est pris ici dans le même sens que précédemment, il signifie transversalement, c’est-à-dire de manière à couper les travaux des Athéniens.) [*](3 Sur le grand port.) [*](* Au nord de Syké.) [*](5 C’était la partie la plus exposée, puisque le camp des Syracusains était dans le voisinage et que les communications de la ville avec l’extérieur restaient libres de ce côté.)

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tranchement, pour en défendre chacun une partie déterminée.

Nicias jugea à propos de fortifier le lieu nommé Plemmyrion[*](La pointe de Plemmyrion s’avance dans le grand port, en face de l île Ortyg e.) : c’est un promontoire qui s’avance dans le grand port, sur la côte opposée à la ville, et rétrécit la passe. Il pensait, en le fortifiant, rendre l’arrivage des vivres plus facile[*](Parce qu’en faisant stationner ses vaisseaux à Plemmyriou, il lui serait pins aisé de surveiller l'arrivée des convois et de les protéger contre la flotte syracusaine stationnée dans le petit port.), parce que sa flotte, stationnant plus près du port des Syracusains[*](Le petit port, entre Ortygie et la nouvelle ville.), n’aurait plus, comme par le passé, à accourir du fond du grand port pour proléger l’arrivée des convois, si les vaisseaux ennemis faisaient quelque mouvement. Le côté maritime de la guerre le préoccupait dès lors davantage, parce qu’il voyait que, par terre, l’arrivée de Gylippos laissait moins d’espoir. Il y fit donc passer un corps de troupes et les vaisseaux, éleva trois forts, et y déposa la plus grande partie du matériel. C’est là que stationnèrent désormais les grands bâtiments de charge et les vaisseaux légers. C’est de ce moment aussi que commencèrent pour les équipages les privations et les souffrances : l’eau était rare et éloignée; et, lorsque les matelots sortaient pour aller faire du bois, ils étaient massacrés parles cavaliers syracusains qui tenaient la campagne : car, par suite de l’occupation de Plemmyrion, le tiers de la cavalerie syracusaine avait pris ses quartiers au bourg d’Olympiéon, pour s’opposer à leurs incursions. Nicias, informé d’un autre côté que le reste de la flotte corinthienne approchait. [*](1 La pointe de Plemmyrion s’avance dans le grand port, en face de l île Ortyg e.) [*](* Parce qu’en faisant stationner ses vaisseaux à Plemmyriou, il lui serait pins aisé de surveiller l'arrivée des convois et de les protéger contre la flotte syracusaine stationnée dans le petit port.) [*](5 Le petit port, entre Ortygie et la nouvelle ville.)

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envoya en observation vingt vaisseaux, avec ordre de la surveiller dans les parages de Locres, de Rhégium et aux abords de la Sicile.

V. Gylippos continuait la construction du mur à travers Épipolæ, et y employait les pierres que les Athéniens avaient amassées pour eux-mêmes; en même temps il faisait sortir régulièrement et rangeait devant le retranchement les Syracusains et leurs alliés. En face, les Athéniens formaient aussi leurs rangs. Lorsque Gylippos crut le moment favorable, il commença l'attaque; on en vint aux mains, et l’action eut lieu dans l’intervalle des retranchements, où la cavalerie des Syracusains et de leurs alliés ne fut d’aucun usage. Les Syracusains et leurs alliés furent vaincus. Après que les Athéniens eurent rendu les morts par convention et dressé un trophée, Gylippos convoqua ses soldats et leur dit que ce qui était arrivé n’était pas de leur faute, mais de la sienne; que, par ses dispositions mêmes, il avait, en les massant trop à l’étroit entre les murs[*](Le combat s’était engagé dans l’espace compris entre les remparts de la ville, le mur transversal des Syracusains et le double mur des Athéniens, prés du temple de la Fortune.), rendu inutiles la cavalerie et les gens de trait; qu’il allait donc les mener de nouveau à l’ennemi. Il les engagea à bien réfléchir que, sous le rapport des forces, ils ne seraient pas inférieurs, et que, quant au courage, il serait intolérable qu’ils se crussent incapables, eux Péloponnésiens et Doriens, de vaincre et de chasser du pays des Ioniens, des insulaires, un ramas de troupes.

VI. Ensuite, le moment venu, il les conduisit de nouveau au combat. Nicias et les Athéniens sentaient [*](1 Le combat s’était engagé dans l’espace compris entre les remparts de la ville, le mur transversal des Syracusains et le double mur des Athéniens, prés du temple de la Fortune.)

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bien, de leur côté, que, même sans être provoqués au combat par les Syracusains, il y avait nécessité pour eux de s’opposer à la construction du mur élevé près de leurs travaux, — car déjà le mur des Syracusains atteignait presque l’extrémité de leur retranchement, et s’il le dépassait, il devenait indifférent pour eux de vaincre dans des combats sans cesse renouvelés, ou de ne pas combattre du tout[*](Parce que, malgré leurs victoires, les communications de Syracuse avec l’extérieur resteraient libres, au moyen de cette muraille.). — Ils sortirent donc à la rencontre des Syracusains. Gylippos porta ses hoplites plus en avant des murs que la première fois et en vint aux mains. La cavalerie et les gens de trait étaient rangés sur le flanc des Athéniens dans une plaine ouverte, par delà l’extrémité des fortifications des deux armées. Dans l’action, la cavalerie fondit sur l’aile gauche des Athéniens qui lui était opposée et la mit en déroute; le reste de l’armée, entraîné dans ce mouvement, fut vaincu par les Syracusains et rejeté en désordre dans ses retranchements. La nuit suivante, les Syracusains eurent le temps de prolonger leur muraille jusqu’aux travaux des Athéniens et au delà; de sorte qu’ils n’avaient plus aucun obstacle à craindre de leur part, et leur ôtaient, même vainqueurs, tout moyen de les enfermer désormais.

VII. Les vaisseaux de Corinthe, d’Ambracie et de Leucade, restés en arrière au nombre de douze, entrèrent ensuite dans le port, sans avoir été aperçus par la croisière athénienne. Ils étaient commandés par Érasinidès de Corinthe. Ces troupes travaillèrent de concert avec les Syracusains à terminer les retranche- [*](1 Parce que, malgré leurs victoires, les communications de Syracuse avec l’extérieur resteraient libres, au moyen de cette muraille.)

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ments jusqu’au mur transversal[*](Les retranchements dont il est question ici devaient longer les hauteurs d’Épipolæ et venir rejoindre le mur transversal qui s’étendait jusqu’à l’enceinte de Syracuse. Les mots μέχρι τοῦ ἐγκαρσίου τείχους, qui ont fort embarrassé les interprètes, pourraient aussi bien se traduire s à partir du mur transversal; ils indiquent que le mur en question, au lieu de suivre la direction primitive de la muraille transversale, ce qui l’eût porté trop au nord vers les hauteurs, venait s’embrancher sur lui pour suivre la plaine vers le nord-est.). Gylippos parcourut le reste de la Sicile, pour y lever des troupes de terre et de mer et rallier celles des villes qui montraient peu de zèle ou qui étaient restées jusque-là tout à fait en dehors de la guerre. D’autres députés, Syracusains et Corinthiens, furent envovés à Lacédémone et à Corinthe pour demander qu’on fit passer de nouvelles forces par quelque voie que ce fût, sur des transports, sur des barques, ou de toute autre façon, parce que les Athéniens réclamaient aussi des renforts. Les Syracusains équipaient leur flotte et l’exerçaient à la mer, décidés à porter aussi leurs efforts de ce côté; ils n'apportaient pas moins d’ardeur à tout le reste.

VIII. Nicias le savait, et voyait chaque jour ajouter à la force des ennemis et aux difficultés de sa propre situation. Il envoyait de son côté des messages à Athènes; bien des fois déjà il en avait fait passer dans d’autres circonstances pour tenir au courant de chaque événement; mais il les multiplia alors, persuadé qu’il était dans une position critique, et que, si on ne se hâtait soit de rappeler l’armée, soit de lui envoyer des renforts considérables, il n’y avait aucune chance de salut. Comme il craignait que ses messagers ne fissent pas connaître le véritable état des choses, soit faute de savoir s’exprimer, soit par défaut de mémoire, ou même pour [*](1 Les retranchements dont il est question ici devaient longer les hauteurs d’Épipolæ et venir rejoindre le mur transversal qui s’étendait jusqu’à l’enceinte de Syracuse. Les mots μέχρι τοῦ ἐγκαρσίου τείχους, qui ont fort embarrassé les interprètes, pourraient aussi bien se traduire s à partir du mur transversal; ils indiquent que le mur en question, au lieu de suivre la direction primitive de la muraille transversale, ce qui l’eût porté trop au nord vers les hauteurs, venait s’embrancher sur lui pour suivre la plaine vers le nord-est.)

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faire quelque rapport agréable à la multitude, il écrivit une lettre; il crut que c’était le meilleur moyen de faire connaître exactement sa pensée aux Athéniens, sans qu’elle fût dénaturée par le messager, et de les mettre en état de délibérer sur la situation réelle des affaires. Les envoyés partirent, chargés de cette lettre et de tout ce qu’ils devaient dire eux-mêmes; quant à lui, il se borna à la garde de son camp, évitant désormais de chercher volontairement le danger[*](Je lis έχουσίων κινδύνων [ά] πεμελεΐτο. Il suffit du changement d’une seule lettre pour donner un sens raisonnable à la phrase, que tous les commentateurs ont été obligés d’expliquer contrairement au texte reçu έπεμελεΐτο.).

IX. A la fin du même été, Évétion, général athénien, fit avec Perdiccas une expédition contre Amphipolis, à la tête d’un corps nombreux de Thraces; mais, n’ayant pu la prendre, il suivit avec les trirèmes les contours du Strymon, alla stationner à Himéréon, et de là bloqua la ville; l’été finit.

X. L’hiver suivant les messagers deNicias étant arrivés à Athènes, rapportèrent tout ce qui leur avait été dit de vive voix, répondirent aux questions qu’on leur fit, et remirent la lettre. Le secrétaire de la ville en donna lecture aux Athéniens; en voici le contenu :

XI « Les faits antérieurs vous sont connus, Athéniens, par beaucoup d’autres lettres : il est opportun que vous ne connaissiez pas moins bien aujourd’hui la situation où nous nous trouvons, pour prendre une décision. Nous avions vaincu dans de nombreux combats les Syracusains contre qui vous nous avez envoyés, et nous avions élevé les retranchements où nous sommes maintenant, lorsque est arrivé le Lacédémonien Gylippos, [*](1 Je lis έχουσίων κινδύνων [ά] πεμελεΐτο. Il suffit du changement d’une seule lettre pour donner un sens raisonnable à la phrase, que tous les commentateurs ont été obligés d’expliquer contrairement au texte reçu έπεμελεΐτο.)

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avec une armée tirée du Péloponnèse et de quelques villes de Sicile. Nous l’avons vaincu dans une première action; mais le lendemain, forcés par un grand nombre de cavaliers et de gens de trait, nous avons dû rentrer dans nos lignes; et maintenant, contraints parla multitude de nos adversaires à interrompre noire circonvallation, nous y sommes dans l’inaction. Car nous ne pouvons mettre en ligne toute notre armée, la garde des murs occupant une partie des hoplites. D’ailleurs l’ennemi a élevé à côté de nous un mur simple qui ne nous permet plus de les enfermer d’une circonvallation, à moins d’enlever cette barrière, dont l’attaque exige une nombreuse armée; nous paraissons assiéger les autres, et il arrive que c’est plutôt nous qui sommes assiégés, du moins du côté de terre; car la cavalerie ne nous laisse guère nous écarter dans la campagne.

XII. « Ils viennent d’envoyer dans le Péloponnèse des ambassadeurs demander une nouvelle armée, tandis que Gylippos parcourt les villes de Sicile, pour engager dans la guerre celles qui se sont tenues en repos jusqu’à présent, et tirer des autres, s’il le peut, de nouveaux armements de terre et de mer : car ils songent, à ce que j’apprends, à tenter sur nos retranchements une attaque combinée par terre et par mer. N’allez pas vous récrier àce mot, par mer : car notre flotte, si brillante au commencement, quand les vaisseaux étaient secs et les équipages intacts, n’oflre plus maintenant— nos ennemis eux-mêmes le savent — que des vaisseaux pénétrés d’eau par suite de leur long séjour à la mer, et des équipages délabrés. Il nous est impossible de les tirer à terre pour les sécher, parce que la flotte ennemie étant égale et même supérieure en nombre, nous

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avons toujours à prévoir une attaque de leur part. Nous les voyons sous nos yeux s’exercer à la mer; l'initiative de l’attaque leur appartient maintenant, et ils sont bien mieux en mesure que nous de sécher leurs vaisseaux; car ils n’ont à faire aucune croisière.

XIII. « Nous, au contraire, c’est à peine si nous aurions cet avantage[*](De pouvoir sécher nos bâtiments.), même avec une flotte de beaucoup supérieure et sans la nécessité où nous sommes maintenant de la consacrer tout entière à nous garder. Car pour peu que nous distrayions de bâtiments de nos croisières, nous manquerons de vivres; puisque, même maintenant, nous avons peine à les convoyer dans le voisinage de leur ville. Quant à nos équipages, voici ce qui les a ruinés et les ruine encore aujourd’hui : une partie de nos matelots, lorsqu’ils s’écartent pour ramasser du bois, marauder ou faire de l’eau, sont tués parla cavalerie; les valets désertent, depuis que les forces sont égales. Parmi les étrangers, ceux qui ont été embarqués de force saisissent la première occasion de se réfugier dans les villes[*](Dans les villes de Sicile.); ceux qui ont été séduits d’abord par l’élévation de la solde, et qui croyaient aller plutôt au butin qu’au combat, voyant maintenant, contre leur attente, l’ennemi en présence avec une flotte et des forces de tout genre, s’en vont sous quelque prétexte afin de déserter, ou s’ingénient de toute manière; car la Sicile est vaste[*](Ce qui leur permet de nous échapper plus facilement.); il en est même qui achètent sur les lieux des esclaves d’Hyccara et les embarquent à leur place avec l’autorisation des triérarques, ce qui désorganise les équipages.

[*](1 De pouvoir sécher nos bâtiments.)[*](• Dans les villes de Sicile.)[*](3 Ce qui leur permet de nous échapper plus facilement.)
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XIV. « Vous savez, même sans que je vous l’écrive, que de bons équipages sont rares, et qu’il est peu de matelots qui sachent et appareiHer et manier la rame en cadence. Le plus embarrassant, c’est que, tout général que je suis, je n’ai pas le pouvoir d’empêcher ces désordres (car votre naturel est difficile à gouverner), et que nous ne trouvons d’aucun côté à nous refaire. L’ennemi au contraire trouve de toutes parts des facilités; tandis que nous, tout ce que nous avons encore, tout ce que nous dépensons en hommes, est nécessairement pris sur ce que nous avions en arrivant. Caries villes que nous avons maintenant pour alliées, Naxos et Catane, ne peuvent rien pour nous. Qu’à tous ces avantages nos ennemis en joignent un autre, que les villes d’ltalie qui nous font vivre, voyant où nous en sommes, l’abandon où vous nous laissez, se rangent de leur côté, la guerre se terminera sans combat; car nous serons forcés à nous rendre. J’aurais pu vous mander des choses plus agréables, mais je n’en vois pas de plus utiles, puisqu’il faut que vous sachiez exactement quelle est ici la situation, pour en délibérer. Je connais d’ailleurs votre caractère; vous aimez à entendre les nouvelles les plus flatteuses; mais comme vous rejetez ensuite la responsabilité sur qui vous les donne, si l’événement n’y répond pas, j’ai cru plus sûr de vous faire connaître la vérité.

XV. « Quant à l’objet premier de l’expédition, soldats et généraux ne vous ont donné aucun sujet de reproches, soyez-en bien persuadés : mais, maintenant que la Sicile se lève tout entière et qu’on y attend une nouvelle armée du Péloponnèse, prehez pour base de vos délibérations que les forces ici présentes ne sauraient

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même faire face aux circonstances actuelles, et qu’il faut ou les rappeler ou envoyer une nouvelle armée de terre et de mer non moins forte que la première, et beaucoup d’argent. Il faut aussi me donner un successeur; car une néphrétique me met dans l’impossibilité de rester ici. Je réclame votre indulgence au nom des bons services que je vous ai souvent rendus, à la tête des armées, tant que j’ai été bien portant. Du reste, quoi que vous décidiez, agissez dès le commencement du printemps, et sans aucun retard; car il ne faut que peu de temps à nos ennemis pour se procurer des renforts en Sicile; et quant à ceux du Péloponnèse, ils viendront plus lard il est vrai; mais, si vous n’y faites attention, les uns vous échapperont, comme il est déjà arrivé, les autres vous préviendront. »