History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése, Vol. 1-2. Zévort, Marie Charles, translator. Paris: Charpentier, 1852.
CVII. Vers cette époque[*](457 av. notre ère.) les Athéniens commencèrent la construction des longs murs, qui s’étendent jusqu’à la mer, dans la direction de Phalère et du Pirée.
Les Phocéens firent une expédition contre la Doride[*](Au nord-ouest de la Phocide, près du mont oeta.), métropole des Lacédémoniens ; ils attaquèrent Boeon, Cytinion, Erinéos, et prirent une de ces petites places. Les Lacédémoniens, sous la conduite de Nicomède, fils de Cléombrote, qui commandait à la place du roi Plistoanax, fils de Pausanias, trop jeune encore, se portèrent au secours des Doriens, avec quinze cents de leurs hoplites et dix mille des alliés. Ils forcèrent les Phocéens à rendre la ville par capitulation, et se retirèrent. Mais la difficulté était de rentrer chez eux ; s'ils voulaient prendre la mer et traverser le golfe de Crisa, ils devaient trouver en croisière la flotte athénienne qui leur barrait le passage. Par Géranie, la route ne leur paraissait pas sûre, les Athéniens étant maîtres de Mégare et de Pèges. D’ailleurs, indépendamment des difficultés de cette route, les issues étaient constamment gardées par les Athéniens ; les Lacédémoniens sentaient bien qu’en cette circonstance le passage de ce côté leur serait aussi disputé. Ils crurent donc devoir s’arrêter en Béotie, pour considérer à loisir quel serait le moyen le plus sûr d’opérer leur retraite. En prenant ce parti, ils avaient aussi cédé un peu aux instigations secrètes de quelques Athéniens qui espéraient détruire la démocratie et empêcher la construction des longs murs3. Les Athéniens en masse se portèrent contre [*](L’aristocratie voyait avec inquiétude l’accroissement de la marine, qui déplaçait sans cesse les fortunes et favorisait par là les développements de la démocratie. C’était elle qui appelait les Lacédémoniens.)
CVIII. Le combat se livra à Tanagre[*](457 av. J.-C.), en Béotie. La victoire resta aux Lacédémoniens et à leurs alliés ; mais il y eut de part et d’autre un grand carnage. Les Lacédémoniens pénétrèrent dans la Mégaride, coupèrent les arbres, et rentrèrent chez eux par Géranie et l'isthme. Soixante-deux jours après ce combat, les Athéniens, sous la conduite de Myronidès, allèrent attaquer les Béotiens, les battirent à oenophytis[*](A peu de distance de Tanagre, sur l’Asopus.), et soumirent la Béotie, ainsi que la Phocide. Ils rasèrent les fortifications de Tanagre, et prirent chez les Locriens d’Oponte cent otages, choisis parmi les plus riches citoyens. Enfin ils terminèrent chez eux la construction des longs murs.
Vint ensuite la capitulation des Éginètes. Ils se rendirent aux Athéniens[*](La quatrième année de la quatre-vingtième olympiade. 456 av. J.-C.), rasèrent leurs murailles, livrèrent leurs vaisseaux, et se soumirent pour l'avenir à un tribut déterminé.
Les Athéniens firent avec leur flotte le tour du Péloponnèse, sous le commandement de Tolmidès, fils de Tolmæus ; ils brûlèrent le chantier maritime des Lacédémoniens[*](Gythium, au nord du Péloponnèse, sur le golfe de Laconie.), prirent Chalcis, ville dépendante de Corinthe, descendirent à terre et battirent les Sicyoniens.
CIX. Les Athéniens et les alliés qui se trouvaient en Égypte s’y étaient maintenus ; mais la guerre avait eu pour eux bien des alternatives ; d’abord ils s’étaient emparés de l’Égypte. Le roi[*](Ces mots désignent toujours le Grand Roi, le roi de Perse.) avait envoyé alors à Lacédémone le Perse Mégabaze, avec de l’argent, pour déterminer les Péloponnésiens à envahir l’Attique, et forcer ainsi les Athéniens à évacuer l’Égypte ; mais l’affaire échoua : Mégabaze, voyant que l’argent était dépensé en pure perte, retourna en Asie avec le reste de ses trésors. Le Perse Mégabyse, fils de Zopyre[*](Celui dont Hérodote raconte la mutilation volontaire (iii, 160).), fut alors envoyé en Égypte à la tête d’une nombreuse armée ; il arriva par terre, vainquit dans un combat les Égyptiens et leurs alliés, chassa les Grecs de Memphis et finit par les enfermer dans l’île de Prosopitès[*](Dans le Delta.). Après les y avoir assiégés dix-huit mois, il dessécha le lit du fleuve en détournant les eaux, mit les vaisseaux à sec et joignit la plus grande partie de l’île au continent ; il y passa alors à pied et s’en empara.
CX. Ainsi furent ruinées les affaires des Grecs, après six ans de guerre. De cette nombreuse année, bien peu d’hommes purent se sauver à Cyrène, en traversant la
CXI. Oreste, fils d’Échécratidès, roi des Thessaliens, chassé du trône, persuada aux Athéniens de l’y rétablir. Ils prirent avec eux les Béotiens et les Phocéens, leurs alliés, et marchèrent contre Pharsale, en Thessalie ; mais, contenus par la cavalerie thessalienne, ils ne furent jamais maîtres que du terrain qu’ils occupaient, sans pouvoir s’éloigner de leur camp. N’ayant pu ni prendre la ville, ni réaliser en rien l’objet de leur
Peu de temps après, mille Athéniens s’embarquèrent à Pèges, place en leur pouvoir, et longèrent la côte jusqu’à Sicyone, sous le commandement de Périclès, fils de Xanthippe. Ils firent une descente et battirent ceux des Sicyoniens qui en vinrent aux mains avec eux[*](Plutarque (Péricl.) raconte ces faits avec beaucoup plus de détails. C’est à Némée, assez avant dans les terres, que Périclès alla attaquer les Sicyoniens ; il les battit et éleva un trophée.) ; aussitôt après ils s’adjoignirent les Achéens et traversèrent le golfe pour aller, sur la côte opposée, attaquer oeniades[*](Sur le fleuve Achéloüs.), en Acarnanie. Mais, après un siége inutile, ils renoncèrent à cette entreprise et retournèrent chez eux.
CXII. Trois ans après ces événements[*](450 av. J.-C.), une trêve de cinq ans fut conclue entre les Péloponnésiens et les Athéniens. Ceux-ci, en paix dès lors avec la Grèce, envoyèrent contre Cyprc deux cents vaisseaux, tant d’Athènes que des alliés, sous le commandement de Cimon. Soixante vaisseaux furent détachés de cette flotte vers l’Égypte, à la demande d’Amyrtée, ce roi du marais dont j’ai parlé. Les autres assiégèrent Cilium. Mais Cimon mourut ; la famine survint ; ils levèrent le siége de Citium et repartirent[*](Le récit de Diodore est tout à fait différent. (Voy. xii, 4.) Les Athéniens se seraient emparés de Cypre et seraient revenus vainqueurs après la mort de Cimon.). En passant au-dessus de Salamine, en Cypre, ils rencontrèrent les Phéniciens et les Ciliciens,
Les Lacédémoniens firent ensuite[*](448 av. J.-C.) l’expédition qui a reçu le nom de Guerre sacrée ; ils s’emparèrent du temple, de Delphes et le remirent aux Delphiens ; mais, après leur départ, les Athéniens l’attaquèrent à leur tour, s’en rendirent maîtres, et le confièrent aux Phocéens.
CXIII. Quelque temps après eut lieu l’expédition des Athéniens en Béotie. Les exilés béotiens occupaient Orchomène, Chéronée et quelques autres places de la Béotie. Les Athéniens, fatigués de l'hostilité de ces villes, envoyèrent contre elles mille de leurs hoplites et les contingents de chacun des alliés, sous le commandement de Tolmidès, fils de Tolmæus. Ils prirent Chéronée, réduisirent les habitants en servitude, et se retirèrent après y avoir mis garnison. Mais en traver- sant le territoire de Coronée ils furent assaillis par les exilés béotiens d’Orchomène[*](Sous la conduite de Sparton (Plut. Agésil.). Ce combat fut livré 447 av. J.-C.) assistés des Locriens, des fugitifs de l’Eubée et de tous ceux qui avaient contre eux les mêmes griefs. Ceux-ci furent vainqueurs, tuèrent une partie des Athéniens et firent les autres prisonniers. Les Athéniens durent abandonner par un traité la Béotie tout entière, à la condition qu’on leur rendrait leurs prisonniers. Les exilés béotiens et tous les autres rentrèrent et recouvrèrent leur indépendance.
CXIV. Peu après, l’Eubée se détacha des Athéniens[*](L’an 446 (3e année de la LXXXIIIe olymp. suivant Diodore).). Déjà Périclès y était passé avec une armée athénienne, lorsqu'on lui annonça que Mégare venait de faire défection , que les Péloponnésiens allaient envahir l’Attique, et que les Mégariens avaient massacré la garnison athénienne, à part ce qui avait pu se réfugier à Nisée. En même temps les Mégariens avaient appelé à leur secours les Corinthiens, les Sicyoniens et les Épidauriens. Périclès ramena en toute hâte son armée de l’Eubée. Néanmoins les Péloponnésiens envahirent l’Attique, sous le commandement de Plistoanax, fils de Pausanias, roi des Lacédémoniens, et s’avancèrent jusqu’à Éleusis et à la plaine de Thria[*](On suppose que cette plaine était située entre Éleusis, Éleuthère et Acharné.), qu’ils ravagèrent. Ils s’arrê- tèrent là et rentrèrent chez eux[*](Flutarque (Péricl.) dit que Périclès corrompit Plistoanax et Cléandridas son conseiller, et acheta la retraite des Péloponnésiens.). Les Athéniens alors repassèrent en Eubée , sous la conduite de Périclès, et la soumirent tout entière. Ils admirent tous les habitants à composition, excepté ceux d’Hestiée, qu’ils chassèrent, et dont ils occupèrent eux-mêmes le pays.
CXV. Peu après leur retour d’Eubée ils firent avec les Lacédémoniens et leurs alliés une trêve de trente ans[*](445 av. J.-C. Une colonne avait été élevée à Olympie, devant la statue de Jupiter, et on y avait inscrit les conditions de la trève.) et rendirent Nisée, Pèges, Trézène et l’Achaïe ; c’était tout ce qu’ils avaient conquis sur les Péloponnésiens.
Six ans plus tard la guerre éclata entre les Samiens
Cependant quelques-uns des Samiens qui avaient quitté l’ile pour se réfugier sur le continent se liguèrent avec les plus puissants de ceux qui étaient restés dans la ville, et avec Pissythnès, fils d’Hystaspe, alors gouverneur de Sardes. Ils réunirent sept cents hommes de troupes auxiliaires et passèrent de nuit à Samos. D’abord ils se portèrent contre les chefs du parti populaire, qu’ils saisirent pour la plupart. Ils allèrent ensuite enlever furtivement leurs otages de Lemnos, rompirent avec Athènes, livrèrent à Pissythnès la garnison athénienne , ainsi que les chefs qui étaient entre leurs mains, et se disposèrent aussitôt à attaquer Milet. Les Byzantins entrèrent aussi dans leur défection.
CXVI. A cette nouvelle, les Athéniens firent voile pour Samos avec soixante vaisseaux. Seize de ces bâtiments ne prirent point part aux opérations, ayant été détachés les uns sur les côtes de Carie pour observer la flotte phénicienne, les autres à Chio et à Lesbos pour demander des secours. Ce fut donc avec
CXVII. Pendant ce temps les Samiens, étant sortis du port à l’improviste, tombèrent sur le mouillage ennemi, que rien ne protégeait, détruisirent les bàtiments d’avant-garde, battirent les vaisseaux qui vinrent à leur rencontre et restèrent, quatorze jours durant, maîtres de la mer qui baigne Samos[*](Les Samiens étaient commandés, dans cette action, par le philosophe Mélissus (Plut. Péricl.).). Ils en pro- fitèrent pour faire entrer et sortir tout ce qu’ils voulurent. Mais, au retour de Périclès, ils se virent de nouveau bloqués par la flotte. Il arriva ensuite d’Athènes
CXVIII. Après ces événements[*](436 av. J.-C., neuf ans après la conclusion de la trêve de trente ans.), et à quelques années d’intervalle, nous arrivons aux faits dont j’ai parlé plus haut, l’affaire de Corcyre, celle de Potidée, et tout ce qui servit de prétexte à la guerre actuelle. Toutes ces entreprises des Grecs contre les Grecs ou contre les barbares, remplissent un intervalle de cinquante ans, de la retraite de Xerxès à la guerre du Péloponnèse. Pendant cette période, les Athéniens affermirent leur domination et parvinrent à un haut degré de puissance. Les Lacédémoniens le sentaient, mais n’y apportaient aucune entrave ; à part quelques courts intervalles de résistance, ils restèrent généralement inactifs. Même avant cette époque ils répugnaient à faire la guerre, à moins de nécessité
Les Lacédémoniens décidèrent donc que la trêve était rompue et qu’il y avait eu injuste agression de la part des Athéniens. Ils envoyèrent à Delphes demander au dieu s’il leur serait avantageux de faire la guerre ; le dieu, dit-on, répondit qu’en combattant avec énergie on [*](Κατά χρατος ιτολΕαοΰσι νίχην εσεσβαι. L’oracle est amphibologique, comme de coutume, et peut être interprété en faveur des deux peuples.) aurait la victoire, et que, invoqué ou non, il prêterait lui-même son appui[*](Il y a évidemment là, comme le remarque le scoliaste, une allusion à la peste d’Athènes, Apollon étant le dieu qui envoie la peste et les fléaux.).
CXIX. Ils rassemblèrent de nouveau les alliés pour mettre aux voix la question de guerre. Les députés des villes alliées arrivèrent, et, l’assemblée s’étant formée, chacun émit son opinion. La plupart accusèrent les Athéniens et se déclarèrent pour la guerre. Les Corin- thiens, inquiets pour Potidée, avaient agi à l’avance auprès de chaque état isolément, pour faire décréter la guerre ; ils étaient présents, s’avancèrent les derniers, et parlèrent en ces termes :
CXX. « Généreux alliés, nous ne pouvons plus adresser de reproches aux Lacédémoniens ; car ce n’est qu’après avoir eux-mêmes décrété la guerre, qu’ils nous
« Ceux d’entre nous qui ont eu des rapports avec les Athéniens n’ont pas besoin d’apprendre à se tenir en garde contre eux ; mais ceux qui habitent l’intérieur, loin des places de commerce, doivent songer que, s’ils ne viennent au secours des habitants de la côte, ils auront eux-mêmes plus de difficulté à exporter leurs denrées et à recevoir en échange ce que la mer apporte au continent. Ils jugeraient mal les intérêts actuels s’ils croyaient y être étrangers ; ils doivent songer au contraire qu’en délaissant les villes maritimes, le danger viendra jusqu’à eux, et que c’est sur eux-mêmes, non moins que sur nous, qu’ils délibèrent en ce moment. Qu’ils ne craignent donc pas d’échanger la paix pour la guerre : sans doute il est de la prudence de rester en repos quand on n’a pas été lésé ; mais aussi, en présence d’une injustice, l’homme de coeur n’hésite pas à renoncer à la paix pour courir aux armes, sauf à traiter ensuite, une fois le succès obtenu. S’il n’est pas enivré par la victoire, il n’est point non plus énervé par le repos et la paix, au point de se résigner à l’injustice ; car celui que les jouissances rendent timide sera bientôt, s’il reste oisif, dépouillé de ce placide bien-être pour lequel il craint tant ; et celui qui, à la guerre, se laisse enfler par le succès, ne songe pas qu’il obéit aux entraînements d’une audace perfide. Bien des entreprises inconsidérées ont réussi contre des
CXXI. « Quant à nous, c’est pour repousser une injustice et venger de justes griefs que nous réveillons aujourd’hui la guerre. Les Athéniens châtiés, nous déposerons à temps les armes.
« Nous avons bien des chances de vaincre : d’abord nous avons pour nous le nombre et l’expérience des combats ; ensuite nous avons tous également l’habitude de l’obéissance. Quant à la marine, qui fait leur force, nous en formerons une avec les ressources particulières de chaque ville et les trésors déposés à Delphes et à Olympie[*](Il ne peut être question ici de piller les temples ; les Corinthiens proposaient d’emprunter, comme cela se pratiquait dans les nécessités pressantes, les trésors de Delphes et d’Olympie.). Au moyen d’un emprunt nous serons en mesure de débaucher, par une solde plus élevée, leurs matelots étrangers[*](Ces matelots étaient levés dans toutes les parties de la Grèce, même dans le Péloponnèse.) ; car la puissance athé- nienne est plutôt mercenaire que nationale ; la nôtre, fondée sur nos personnes bien plus que sur nos richesses, a moins à craindre à cet égard. Une seule victoire navale nous les livre vraisemblablement. S’ils résistent, nous aurons plus de temps pour nous exercer à la marine, et, une fois égaux par la science, nous l'emporterons certainement par le courage : car les
CXXII. « Nous avons encore d’autres moyens à leur opposer dans cette guerre : la défection de leurs alliés, dont la première conséquence est de tarir les revenus, source de leur puissance ; la construction de forteresses sur leur territoire[*](Les Lacëdémonlcns fortifièrent, en effet, Décélie, pour en faire la base de leurs opérations contre l’Attique (Thucy. i, 142).) , et tant d’autres ressources qu’on ne saurait prévoir actuellement. Car la guerre ne suit pas, tant s’en faut, une marche réglée à l’avance ; c’est elle-même qui, le plus souvent, combine ses moyens au gré des circonstances. Y rester maître de soi est le gage le plus sûr du succès ; s’y laisser emporter, c’est s’exposer à plus de revers.
« Songeons, en outre, que si chacun de nous n’avait à contester que sur des limites et contre des ennemis égaux en forces, on pourrait se résigner ; mais aujourd’hui les Athéniens, en état de lutter contre nous tous réunis, sont bien plus forts encore contre chaque ville isolément. Si donc nous ne nous réunissons tous ensemble, si peuples et villes ne se confédèrent dans une
CXXIII. « Mais à quoi bon critiquer longuement le passé, si ce n’est en vue des intérêts actuels ! C’est en faveur de l’avenir qu’il faut venir en aide au présent, sans épargner la peine ; car s’élever à la vertu par le travail est un exemple que nous ont légué nos pères. Si maintenant vous l’emportez un peu sur eux pur la richesse et la puissance, ne renoncez point, pour cela, à ces moeurs héréditaires ; car il n’est pas juste que ce qui a été acquis par la pauvreté soit perdu par l’opulence. Marchez donc, pleins d’une confiance que bien des motifs autorisent ; l’oracle s’est prononcé et le dieu
CXXIV. « Ainsi tout vous convie à faire la guerre : nous vous y exhortons en commun ; et il est certain qu’elle entre dans les intérêts des villes et des particuliers. Ne tardez donc pas à secourir les Potidéates, c’est-à-dire des Doriens assiégés par des loniens (c’était le contraire autrefois), et sauvez en même temps la liberté de tous les autres Grecs ; car si nous abandonnons ceux qui sont aujourd’hui attaqués, si l’on sait, de plus, que nous nous sommes réunis sans oser les secourir, il n’est pas possible que les autres n’éprouvent pas bientôt le même sort. Considérez, généreux alliés, que nous en sommes venus à la dernière extrémité, et que le meilleur parti est celui que nous conseillons. Décrétez donc la guerre, sans vous inquiéter de ce qu’elle peut avoir de terrible pour le moment, sans songer à autre chose qu’aux longs jours de paix qui en résulteront ; car c’est par la guerre surtout qu’on affermit la paix ; et il n’y a pas la même sécurité à fuir la guerre par amour du repos.
« Voyez cette ville qui, au milieu de la Grèce, s’est érigée en tyran : elle nous menace tous également ; déjà elle commande aux uns ; elle médite l’assujettissement des autres ; marchons donc pour la réduire, et, par là, assurons et l’affranchissement des Grecs
Ainsi parlèrent les Corinthiens.
CXXV. Lorsque tous eurent donné leur avis, les Lacédémoniens firent voter sucessivement tous les alliés présents, les délégués des petites villes comme ceux des grandes. La majorité se prononça pour la guerre. Cette décision prise, il n’y avait pas moyen d’agir surle-champ, aucune disposition n’étant faite : on arrêta donc que chacun ferait ses préparatifs en toute hâte ; moins d’une année fut employée à prendre les mesures nécessaires, jusqu’au jour où l’Attique fat envahie et la guerre ouvertement déclarée.
CXXVI. Pendant ce temps ils envoyèrent des députés porter leurs griefs aux Athéniens, afin d’avoir, autant que possible, un prétexte spécieux de faire la guerre, si leurs plaintes n'étaient pas écoutées. Dans une première ambassade, les Lacédémoniens ordonnèrent aux Athéniens d’expier le sacrilège commis contre la déesse[*](Minerve.) ; voici quel était ce sacrilège :
Un Athénien, nommé Cylon, vainqueur aux jeux olympiques, riche et d’une famille ancienne, avait épousé la fille de Théagène de Mégare, alors tyran de cette ville. Cylon ayant consulté l’oracle de Delphes, le dieu lui répondit d’occuper l’acropole d’Athènes, le jour de la plus grande fête de Jupiter. Il prit avec lui des forces que lui fournit Théagène, ainsi que ses amis gagnés au complot, et, quand vinrent les fêtes olym- piques du Péloponnèse[*](D’après le scoliaste de Thucydide, on célébrait aussi des fêtes olympiques en Macédoine et à Athènes.), il s’empara de l’acropole. Son but était la tyrannie. Il crut que c’était là la plus