History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

« Il y a plus : ma jeunesse et mon extravagance prétendue ont su, par des discours convenables, gagner à votre cause la masse des Péloponésiens, et, à forcé de zèle, leur communiquer de la confiance. Maintenant donc ne craignez rien de ces mêmes qualités ; mais, tandis que je les possède encore et que la fortune semble favoriser Nicias, profitez des services que nous pouvons vous rendre. Surtout ne vous laissez pas détourner de l’expédition de Sicile par la pensée qu’elle est dirigée contre des peuples puissants.

« Les villes de ce pays ont une population nombreuse, à la vérité, mais composée d’éléments hétérogènes ; ce qui les rend sujettes à des révolutions et à des bouleversements sans fin. Personne n’y regarde la patrie comme son bien; aussi personne ne se fournit d’armes pour la défendre. L'État lui-même n’a point de matériel régulier. Chacun prend ses mesures pour tirer quelque avantage du public par la persuasion ou par l’émeute; s’il échoue, il en est quitte pour s’expatrier. Comment donc de pareilles agglomérations pourraient-elles mettre de l'unité dans leurs conseils ou dans leurs actes ? On verra bientôt les villes venir à nous l’une après l’autre à la première ouverture capable de leur plaire, surtout si, comme on l'assure, elles sont en proie aux dissensions.

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c D’ailleurs ne croyez pas que leurs hoplites soient aussi ombreux qu’on l’affirme. Il doit en être à cet égard comme n reste des Grecs, chez qui les forces réelles se sont trouvées fort au-dessous des évaluations arbitraires que chaque peuple a faisait. La Grèce, après avoir accusé des chiffres fabuleux, reconnu dans la présente guerre que l’effectif de ses troupes églées ne dépassait pas le strict nécessaire.

« Telles sont, si je suis bien renseigné, les facilités que nous rouverons en Sicile, sans parler d’une foule de Barbares qui, par haine pour Syracuse, se joindront à nous pour l’attaquer, les affaires de Grèce ne nous arrêteront point, si nous prenons bien nos mesures. Outre ces mêmes adversaires qu’on nous eproche de laisser derrière nous, nos pères avaient encore à ;ombattre le Mède; ce qui ne les empêcha pas de fonder leur ïmpire, sans autre appui que leur supériorité navale. Les Pélo-ionésiens sont plus éloignés que jamais de toute velléité agressive contre nous; supposé même qu’ils s’enhardissent au point le recommencer la guerre, ils n’ont pas besoin d’attendre notre lépart pour envahir notre pays ; mais sur mer ils ne peuvent absolument rien contre nous, car nous laissons ici une marine imposante.

« Comment donc justifier notre défaut de zèle et notre refus de secourir nos alliés? Nous leur devons aide et protection ; nos serments nous y obligent. N’écoutez pas ceux qui vous disent qu’il ne faut attendre d'eux aucune réciprocité. Si nous les avons accueillis, ce n'était pas pour qu’ils vinssent ici nous défendre, mais pour qu’ils retinssent chez eux nos ennemis. Par quel autre système avons-nous obtenu l’empire, nous et tous ceux qui l’ont possédé, si ce n'est en étant toujours prêts à secourir les Grecs et les Barbares qui réclamaient notre appui? Si chacun de nous, quand son aide est nécessaire, demeurait en repos ou chicanait sur les races, nous étendrions peu notre puissance, ou plutôt nous la mettrions en péril. Avec des adversaires formidables, la prudenee consiste à prévenir leurs attaques, non moins qu'à les repousser. Nous ne sommes pas libres de graduer à volonté l’extension de notre empire. Porce nous est de menacer les uns et de comprimer les autres ; car nous serions en danger de tomber sous une domination étrangère, si nous cessions nous-mêmes de dominer. Vous ne pouvez envisager le repos du même œil que les autres peuples, à moins de modeler vos principes sur les leurs.

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« En naviguant vers ces parages, nous augmenterons sans aucun doute la puissance que nous possédons déjà. Faisons cette entreprise, ne fût-ce que pour rabattre Porgueil des Pé-loponésiens, et pour leur montrer que, peu soucieux de la tranquillité présente, nous portons nos armes jusqu’en Sicile. Par là de deux choses l’une : ou nous ferons une conquête qui noos vaudra l’empire de la Grèce entière, ou tout au moins nous écraserons les Syracusains, ce qui sera un bénéfice réel pour nous et pour nos alliés. Nos vaisseaux assureront notre séjour en cas de succès, ou notre retraite; car nous l’emporterons toujours par la marine sur les Siciliens réunis.

« Ne vous laissez pas influencer par les discours de Nicias, par l’inaction qu’il vous conseille, ni par la scission qu’il cherche à établir entre les jeunes et les vieux ; mais, fidèles à nos anciennes coutumes et à l’exemple de nos pères, qui, par l’union de ces deux âges, ont élevé notre patrie au rang qu’elle occupe aujourd’hui, efforcez-vous d’accroître sa puissance en marchant sur leurs traces. Songez que la vieillesse et la jeunesse ne peuvent rien l’une sans l’autre ; mais que ce qui fait la force, c’est l’assemblage et la combinaison de la faiblesse, de la médiocrité et de la perfection. Soyez-en bien persuadés: si la république est inactive, elle s’usera elle-même comme tout le reste, et tous les talents y périront de décrépitude, tandis que par la lutte elle acquerra sans cesse une nouvelle vigueur et s’accoutumera à se défendre par des actions plutôt que par des paroles. En un mot, j’estime qu’un État accoutumé à l’activité marche rapidement à sa ruine lorsqu’il se plonge dans l’inertie, et que, pour un peuple, le meilleur moyen d’assurer sa sécurité, c’est de s’écarter le moins possible des mœurs et des lois établies, quelque imparfaites qu’elles soient. »

Ainsi parla Alcibiade. Après lui, les Athéniens entendirent les Égestains et les exilés léontins, qui les supplièrent, au,nom de la foi jurée, de venir à leur secours. Aussi l’ardeur des Athéniens fut-elle visiblement accrue. Nicias, jugeant désormais impossible de les dissuader par la même argumentation, mais espérant encore les effrayer par la grandeur de l'armement qu’il réclamerait, prit une seconde fois la parole et dit:

« Athéniens, du moment que votre résolution est irrévocable, puisse cette guerre réussir selon vos vœux. Dans cette situation, je vous dois compte de toute ma pensée. Nous allons attaquer des villes qu’on dit grandes, indépendantes, et nulle ment désireuses de ces révolutions où l’on se jette volontiers

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pour échapper aux rigueurs de la servitude. Il est donc peu probable qu’elles acceptent notre domination en échange de leur liberté. D’ailleurs le nombre des villes grecques est considérable pour une seple île. Indépendamment de Naxos et de Catane, qui, je l’espère, feront cause commune avec nous, à cause de leur parenté avec les Léontins, on en compte sept [*](Il n’est ici question que des principales villes grecques de Sicile. Ce sont Syracuse, Sélinonte, Géla, Agrigente, Messine, Himéra et Camarine. ), qui possèdent des forces militaires semblables aux nôtres, notamment Sélinonte et Syracuse, qui sont toutes deux le principal but de notre expédition. Elles sont abondamment pourvues d’hoplites, d’archers, de gens de trait, de trirèmes et de matelots. Elles ont des richesses immenses, provenant soit des particuliers, soit des temples de Sélinonte, soit des tributs levés par Syracuse sur les Barbares de sa dépendance. Elles ont enfin sur nous le double avantage de posséder une forte cavalerie et de s'approvisionner à l'intérieur, sans recourir aux importations.

« Contre une telle puissance, une armée navale et médiocre ne suffit pas. Il faut emmener àes troupes de terre en grand nombre, si nous voulons obtenir un résultat significatif, et ne pas nous voir fermer la campagne par la cavalerie ennemie ;. car il est à craindre que les villes épouvantées ne se coalisent contre nous, et que les Ëgestains seuls nous fournissent des cavaliers auxiliaires. Or il serait honteux pour nous d’ôtre forcés a la retraite, ou réduits à demander des renforts pour n’avoir pas pris tout d’abord nos mesures.

« Il nous faut donc partir avec un armement complet. N’oublions pas que notas allons porter la guerre dans une contrée lointaine; qu’il ne s’agit pas ici d’une de ces expéditions entreprises par nous en qualité d'alliés, chez nos sujets, dans une terre amie, d’où il est aisé de se procurer tout ce dont on a besoin. Vous allez opérer à une distance énorme, dans un pays tout à fait étranger, d’où, pendant les quatre mois d’hiver, il n’est pas facile de recevoir un simple message.

« J’estime donc que nous devons emmener un très-grand nombre d’boplites, levés chez nous, chez nos alliés, chez nos sujets, même dans le Péloponèse, si nous pouvons en attirer par la persuasion ou par l’appât du gain. Il faut aussi beaucoup d’archers et de frondeurs, pour les opposer à la cavalerie ennemie: Il faut une flotte formidable pour assurer nos communications. Il faut des transports .pour embarquer des provisions de bouche, du froment, de l’orge torréfiée, avec des meuniers mis en réquisition moyennant salaire et tirés proportfonnellement

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des moulins, afin que l’armée, forcée de relâcher, ne manque pas de subsistances ; car nombreuse comme elle sera, toutes les villes ne pourront pas la recevoir. En un mot, il nous faut faire tous les préparatifs imaginables, pour ne pas être à la merci des étrangers ; surtout emporter d’ici beaucoup d'argent; car pour celui qu'on assure être prêt à Égeste, dites-vous bien qu’il ne l’est qu’en paroles.

« Et quand nous partirions avec des forces non-seulement capables de tenir tête à celles des ennemis, mais encore supérieures à tous égards, je ne sais si nous serions en état de vaincre et de nous maintenir. Nous devons nous considérer comme des genê qui vont fonder une colonie au sein de populations étrangères et hostiles ; obligés par conséquent de s’emparer du sol dès le premier jour de leur arrivée, sous peine de voir, au moindre revers, tout le monde se tourner oantre eux.

« C’est dans cette appréhension, c’est dans la pensée que nous avons besoin de beaucoup de prudence et de plus de bonheur encore, — deux choses rares dans la vieque je veux, si je dois partir, donner au hasard le moins possible, et ne m'embarquer qu’après avoir pris les dernières précautions. A ce prix, selon moi, est la sûreté de l’Ëtat, de même que notre salut à nous qui alloue combattre. Si quelqu’un est d’un avis contraire, je lui cède le commandement. »

Ainsi parla Nicias. Il comptait refroidir le zèle des Athéniens par ses exigences, ou, s’il était obligé de partir, le faire avec moins de danger. Mais il arriva précisément l’inverse: loin de reculer devant l’énormité de l’armement, les Athéniens en conçurent une ardeur nouvelle ; l’avis de Nicias parut excellent, et Ton crut n’avoir plus rien à craindre. La passion de s’embarquer saisit tout le monde à la fois : les vieillards, dans l'espoir qu’on subjuguerait le pays où l’on allait porter la guerre, ou tout au moins qu’une si grande armée n’aurait à redouter aucun malheur; les jeunes gens, dans le désir de visiter une contrée lointaine et dans l’espoir d’échapper aux périls ; la masse et les gens de guerre, par l’appât d'une solde immédiate et de conquêtes qui seraient pour eux une source intarissable de gain. Au milieu de cet élan universel, les citoyens peu nombreux qui désapprouvaient l’entreprise n’osaient ouvrir la bouche ni refuser leur suffrage, de crainte de paraître malintentionnés.

Enfin un Athénien monte à la tribune, interpelle Nicias, et le somme de renoncer aux tergiversations et aux défaites,

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mais de déclarer nettement et séance tenante quels sont les préparatifs que rassemblée doit roter. Ainsi mis en demeure, Nicias répondit qu’il en conférerait à loisir avec les généraux ses collègues; mais que, pour le moment, son opinion personnelle était qu'on ne devait pas se mettre en mer avec moins de cent trirèmes ; que les bâtiments pour le transport des hoplites seraient fournis en partie par les Athéniens dans une proportion déterminée, en partie par des réquisitions faites chez les alliés; que la totalité des hoplites, soit d’Athènes, soit des villes alliées, devait être d'au moins cinq mille, et au-dessus s’il se pouvait ; qu'on réglerait en conséquence le reste de l'armement, savoir: archers nationaux ou crétois, frondeurs, et en un mot tout ce qui serait jugé nécessaire.

Après avoir entendu ces paroles, les Athéniens décrétèrent sur-le-champ que les généraux auraient plein pouvoir pour fixer, selon leur prudence, la force des troupes et tous les détails de l’expédition. Ensuite commencèrent les préparatifs. Ou envoya chez les alliés; on fit des levées à Athènes. La ville avait depuis peu réparé les brèches causées par la peste et par une guerre prolongée; durant la paixelle avait vu s’accroître sa population et ses revenus. Aussi l'on pouvait se procurer tout plus facilement. Les préparatifs se poursuivaient.

Sur ces entrefaites, il arriva qu’en une seule nuit les Hermès de pierre[*](Bustes de Mercure, placés sur un piédestal ou stylobate, et considérés comme symboles de la sécurité des chemins (statuæ viales). ), figures quadrangulaires qui, suivant l'usage du pays, sont'placées en grand nombre devant les temples et les édifices particuliers, se trouvèrent pour la plupart mutilés au visage. Nul ne savait les auteurs de cette profanation ; la ville promit de fortes récompenses à qui les découvrirait. On invita aussi tout citoyen, étranger ou esclave, qui aurait connaissance de quelque autre sacrilège commis, à le déclarer librement. Cette affaire prit des proportions considérer blés ; on y voyait un présage relatif à l'expédition, un complot organisé pour bouleverser l’État et pour abolir la démocratie.

En conséquence un certain nombre de métèques et de valets firent une déposition relative, nullement aux Hermès, mais à d'autres statues, que des jeunes gens ivres s'étaient précédemment fait un jeu de mutiler. Ils ajoutèrent qu'on parodiait dans quelques maisons les mystères, et qu'Alcibiade n’y était pas étranger. Ses ennemis, qui voyaient en lui un obstacle à leur ascendant sur le peuple, et qui espéraient, grâce à son éloignement, devenir les premiers personnages de la république, saisirent avec avidité ce prétexte et l’amplifièrent

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à plaisir. Ils allaient répétant partout que la contrefaçon des mystères et la mutilation des Hermès étaient son ouvrage, et qu’elles avaient pour but le renversement de la démocratie. Pour preuve, ils alléguaient la manière antipopulaire dont il mettait toute sa conduite en désaccord avep les lois.

Alcibiade chercha dans l’instant à repousser ces calomnies.. Il offrit de se présenter en justice avant le départ de l’expédition, dont les apprêts étaient terminés. Il demandait à être puni si sa culpabilité était démontrée, ou, dans le cas contraire, à conserver son commandement. Il conjurait le peuple de ne pas accueillir des imputations dirigées contre loi pendant son absence, mais de le mettre à mort sur-le-champ s’il le croyait coupable ; ajoutant qu’il serait de la dernière imprudence de l’expédier à la tête d’une grande armée sous le poids de telles qharges et avant jugement. Mais ses ennemis s’y opposèrent de toutes leurs forces ; ils craignaient, en lui faisant immédiatement son procès, qu’il n’eût pour lui l'armée, et que le peuple ne le ménageât, parce que c’était à lui qu’on était redevable de la part que les Argiens et quelques Mantinéens prenaient à l’expédition. Ils suscitèrent donc d’autres orateurs, qui dirent qu’Alcibiade devait préalablement s’embarquer et ne pas retarder le départ, qu’au besoin il reviendrait plaider sa cause dans un délai déterminé. Leur intention était de le diffamer toujours davantage en son absence, puis de le mander pour qu’il eût à se justifier. Il fut résolu qu’Alcibiade partirait.

On était déjà au milieu de l’été quand la flotte appareilla pour la Sicile. Le gros des alliés, les transports chargés de vivres, les autres bâtiments et tout le matériel de guerre avaient été précédemment acheminés sur Corcyre, d’où l’armée réunie devait traverser le golfe Ionien en se dirigeant vers la pointe d’iapygie[*](La pointe d’Iapygie est le cap actuellement nommé Santa Maria di Leuca, dans la Pouille. ). Au jour fixé, les Athéniens et ceux des alliés qui se trouvaient à Athènes descendirent au Pirée, et, dès l’aurore, montèrent sur les vaisseaux prêts à les recevoir. Avec eux descendit presque toute la population, citoyens et étrangers. Les gens du pays accompagnaient leurs amis, leurs parents ou leurs fils; ils marchaient pénétrés à la fois d’espérance et de tristesse, en pensant d’une part aux conquêtes qu’ils allaient faire, d’autre part à l’incertitude de jamais se revoir et à la distance qui allait se trouver entre eux et leur patrie. Dans ce moment de séparation et à la veille du danger, les difficultés de l’entreprise leur apparaissaient plus frappantes

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que lorsqu’ils l’avaient décrétée; néanmoins le grand déploiement de forces qu’ils avaient sous les yeux leur rendait confiance. Quant aux étrangers et au reste de la foule, ils étaient accourus par simple curiosité, pour jouir d’un spectacle grandiose et véritablement incroyable.

Jamais armée grecque si superbe et si magnifiquement équipée n’était sortie d’un même port. Pour le nombre des vaisseaux et des hoplites, celle qui alla à Épidaure avec Périclès et ensuite à Potidée avec Hagnon n’était point inférieure [*](Voyez liv. II, ch. lvi et lvui. ) ; car elle comptait quatre mille hoplites, quatre cents cavaliers, cent trirèmes d’Athènes, cinquante de Lesbos et de Chios, sans parler des autres alliés; mais elle n’avait qu’une courte traversée à faire et son équipement laissait beaucoup h désirer. Ici au contraire l’expédition devait être de longue durée, et il fallait qu’elle pût agir au besoin sur terre et sur mer. La flotte avait été armée à grands frais par l’État et par les trié-rarques.L’État donnait une drachme par jour à chaque matelot[*](C’était le double de la paye ordinaire, tu la longueur du voyage et les dangers de l’expédition. La même augmentation avait eu lieu pour le siège de Potidée (liv. III, ch. xvii). ); il fournissait les vaisseaux, soixante hâtiments légers, quarante pour le transport des hoplites, avec des équipages de choix. Les triérarques allouaient un supplément de solde aux matelots dits thranites [*](Sur la division des rameurs des trirèmes, voyez liv. IV, ch.xxxn. note 1. Les thranites ou rameurs de la première classe avaient à manier les rames les plus longues et à supporter le travail le plus pénible. Ils se composaient d’hommes de choix. ) et aux autres rameurs ; ils avaient orné leurs navires de riches emblèmes et de toute sorte d’embellissements ; chacun d’eux avait fait les plus grands sacrifices pour que son bâtiment se distinguât par son élégance et par la rapidité de sa marche. L’infanterie avait été recrutée d’après des rôles soigneusement dressés[*](La milice régulière d’Athènes (hoplites et cavaliers) était formée des citoyens des trois premières classes, inscrits à cet effet dans un rôle (κατάλογος) tenu dans chaque tribu. La quatrième classe, composée des thètes, n’était astreinte qu’au service maritime ou à celui de troupes légères. Voyez liv. III, ch. Lxxxvn, note 1. ); les soldats avaient rivalisé entre eux pour la beauté des vêtements et des armes ; en un mot, chacun avait fait les derniers efforts pour briller à la place qui lui était assignée. On eût dit une démonstration de force et de puissance pour éblouir la Grèce, plutôt qu’un armement dirigé contre des ennemis. Si l’on additionne ce que l’État et les particuliers avaient déboursé pour cette expédition, l’État par ses avances et par les sommes fournies aux généraux partants, les particuliers par les frais des soldats pour leur équipement et des triérarques pour leurs navires ; si l’on y joint tout l’argent que chacun, indépendamment de la solda publique, devait se procurer pour un voyage de long cours, enfin celui que les soldats et les marchands emportaient pour trafiquer, on se fera une idée de l’énorme quantité de numéraire qui sortait alors d’Athènes. L’expédition n’était pas moins remarquable par sa prodigieuse hardiesse et par l’éclat de son appareil, que par la disproportion de ses forces avec son but avoué. L’immense

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étendue du trajet ajoutait encore à la grandeur d’une entreprise qui offrait la perspective illimitée d’un splendide avenir.

L'embarquement terminé, la trompette commanda le silence, et l’on fit les voeux accoutumés avant le départ, non pas sur chaque vaisseau isolément, mais sur la flotte (ratière et par le ministère d’un héraut. Dans toute l'armée, on mêla du vin dans des cratères ; chefs et soldats firent des libations avec des coupes d'or et d’argent. A ces invocations s'unissaient celles de la multitude restée sur le rivage , et composée de citoyens et d’autres assistants favorablement disposés. Le Péan chanté et les libations achevées, la flotte prit le large. D’abord elle sortit du port à la file ; puis elle jouta de vitesse jusqu'à Êgine ; de là elle se dirigea rapidement sur Corcyre. lieu de ralliement assigné au reste des alliés.

Cependant à Syracuse, bien qu'on reçût de toutes parts l’avis de cette expédition, longtemps on ne voulut pas y ajouter foi. Une assemblée fut convoquée, et l’on entendit plusieurs orateurs , les uns confirmant, les autres contestant la nouvelle. Hermocratès fils d'Hermon, qui se croyait bien informé, parut alors à la tribune et s’exprima en ces termes :