History of the Peloponnesian War
Thucydides
Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.
Le même Thucydide, citoyen d’Athènes, a continué la relation des événements dans l’ordre où ils ont eu lieu, par étés et par hivers, jusqu’au moment où les Lacédémoniens et leurs alliés renversèrent définitivement la domination d’Athènes et s’emparèrent du Pirée et des longs murs [*](Ce passage prouve que Thucydide comptait pousser son histoire jusqu’à cette époque, en ajoutant à son ouvrage un neuvième livre, dont il avait sans doute rassemblé les matériaux. ). La durée totale de la guerre jusqu’à cette époque fut de vingt-sept ans. On aurait tort d'en retrancher l'intervalle de la trêve. Il suffit
Quant à moi, j’ai assisté à toute sa durée, jouissant de la plénitude de mes facultés et donnant une attention soutenue au spectacle que j’avais sous les yeux. J’ai passé vingt années loin de ma patrie, à la suite de mon commandement d’Amphi-poiis[*](Voyez liv. IV, ch. civ. L’exil de Thucydide commença au mois de janvier 423 av. J. C. ). Mêlé aux affaires des deux partis , j’ai dû à mon exil de voir de plus près celles du Péloponèse, et à mes loisirs de mieux étudier les faits. Je vais donc rapporter les événements qui succédèrent à cette première guerre de dix hnnées, la rupture de la trêve et la reprise des hostilités.
La paix de cinquante ans et l’alliance qui la suivit une fois conclues, les députés du Péloponèse, venus à Lacédémone pour cet objet, quittèrent cette ville et regagnèrent leurs foyers. Les Corinthiens se rendirent d’abord à Argos, où ils s’abouchèrent avec quelques-uns des citoyens. Ils leur représentèrent qu’en faisant un traité de paix et d’alliance avec les Athéniens, naguère leurs ennemis jurés, les Lacédémoniens avaient en vue, non l’intérêt, mais l’asservissement du Péloponèse; que c’était aux Argiens de le sauver , en statuant que toute ville grecque et indépendante, qui offrirait de soumettre ses différends à un arbitrage, pourrait conclure avec Argos une alliance défensive ; qu’il fallait élire un petit nombre de citoyens et les munir de pleins pouvoirs, sans porter la question devant l’assemblée .du peuple, pour ne pas s’exposer à ses refus. A les entendre, beaucoup de villes ne demandaient pas mieux que d’entrer dans cette ligue par haine pour Lacédémone. Après cette communication, les Corinthiens s’en retournèrent cher eux.
Les Argiens qui avaient reçu ces ouvertures les communiquèrent aux magistrats et au peuple fl’Argos. Il fut décidé qu’on élirait douze citoyens, autorisés à conclure une alliance avec tous ceux, des Grecs qui le voudraient, excepté toutefois les Athéniens et les Lacédémoniens, qui ne seraient admis que sut un arrêté du peuple. Ces mesures furent accueillies par les Argiens avec d’autant plus de faveur qu’ils se voyaient à la veille d’une guerre avec Lacédémone, leur traité avec cette ville touchant à sa fin. D’ailleurs , ils aspiraient à se placer à la tête du Péloponèse. Lacédémone à cette époque était complètement déconsidérée à cause de ses revers ; les Argiens au contraire jouissaient d’une prospérité parfaite , ayant su demeurer étrangers à la guerre contre Athènes et recueillir les fruits de cette neutralité. C’est ainsi que les Ar-giens ouvrirent leur alliance à tous les Grecs qui voulurent y entrer.
Les Alantinéens et leurs alliés furent les premiers à entrer dans la confédération, et cela par crainte de Lacédémone. Ayant profité de la guerre contre Athènes pour soumettre à leur domination une partie de l’Arcadie, ils pensaient bien que les Lacédémoniens, maintenant qu’ils n’avaient plus les mains liées, ne toléreraient pas une pareille usurpation. Ce lut donc avec joie qu’üs se jetèrent dans le parti d’Argos, qui leur offrait une ville puissante, ennemie constante de Lacédémone et gouvernée démocratiquement comme eux. La défection des Mantinéens mit en émoi le r^este du Péloponèse. Chacun résolut de suivre leur exemple. On se dit qu’après tout ils devaient avoir leurs raisons pour changer d’alliés. On en voulait d’ailleurs aux Lacédémoniens ; on ne pouvait leur pardonner la clause par laquelle les deux villes d’Athènes et de Lacédémone s’étaient réservé le droit d’ajouter au traité ou d’en retrancher ce qu’elles jugeraient à propos. Cet article inquiétait singulièrement le Péloponèse. On y voyait chez les Lacédémoniens l’intention de l’asservir avec l’aide des Athéniens ; autrement, disait-on, la justice eût exigé que tous les alliés eussent le même droit de modification. Aussi la plupart, sous l’empire de ces craintes, s’empressèrent de traiter avec les Argiéns.
Alarmés de cette agitation du Péloponèse et sachant qu’elle était due aux menées des Corinthiens, qui eux-mêmes n’étaient pas éloignés d’entrer dans la ligue d’Argos, les Laoé-démoniens envoyèrent des députés à Corinthe, afin de prévenir
Il se trouvait aussi à Corinthe des envoyés d’Argos, qui sollicitaient les Corinthiens d’entrer sans délai dans leur alliance. Les Corinthiens les invitèrent à se trouver à la première réunion qui aurait lieu dans leur ville.
Là-dessus arrivèrent des députés d'Elis, qui firent amitié avec les Corinthiens, et se rendirent ensuite à Argos pour conclure l’alliance qui leur était offerte. Les Ëléens s’étalent brouillés avec les Lacédémoniens au sujet de Lépréon[*](Principale ville de la Triphÿlie, pays situé au S. de l’Êlide. A cette époque la Triphÿlie était encore indépendante; plus tard elle fut soumise par les Éléens. La ville de Lépréon était à quarante stades de la côte, entre Pyloô et Pyrgi. ). Les Lépréates, dans une guerre qu’ils avaient eu jadis à soutenir contre une portion de l’Arcadie, avaient sollicité l’assistance des Éléens, en offrant de partager le pays avec eux[*](Il s’agit probablement du pays contesté et conquis sur l’Arcadie. D’autres l’entendent du territoire des Lépréates eux-mêmes. ). Les Ëléens avaient mis fin à cette guerre et laissé aux Lépréates la jouissance du territoire conquis, à charge de payer annuellement un talent à Jupiter Olympien. Jusqu’à la
Bientôt après, les Corinthiens et les Chalcidéens du littoral de la Thrace entrèrent aussi dans la ligue d’Argos. Les Béotiens et les Mégariens, malgré leurs sympathies avouées, se tinrent à l’écart. Ils étaient fort ménagés par Lacédémone, dont la constitution s’accordait mieux que la démocratie d'Argos avec leur régime oligarchique.
Vers la même époque de l'été, les Athéniens prirent Scione qu’ils assiégeaient. Ils mirent à mort tous les adultes, réduisirent en esclavage les femmes et les enfants, et donnèrent aux Platéens la jouissance du territoire. Ils rétablirent les Déliens à Délos, tant à cause du malheur de leurs armes [*](Les Athéniens, par un scrupule de conscience, se reprochaient d’avoir expulsé les Déliens, et attribuaient à cet acte d’inhumanité l’échec éprouvé par eux à Délion et à Amphipolis. ), que pour obéir à l’oracle de Delphes. Les Phocéens et les Lo-criens commencèrent la guerre.
Les Corinthiens et les Argiens, désormais alliés , se rendirent à Tégée, pour détacher cette ville du parti des Lacédémoniens. Ils pensaient que, s’ils parvenaient à s’adjoindre une place de cette importance , tout le Péloponèse suivrait. Mais les Tégéates s’étant refusés à rien entreprendre contre Lacédémone, les Corinthiens, très-ardents jusqu’alors, commencèrent à se refroidir, dans la crainte de ne plus trouver d’adhésion. Ils se rendirent cependant auprès des Béotiens, pour les engager à entrer dans l’alliance des deux villes[*](Les deux villes d’Argos et de Gorinthe. ) et à faire cause commune avec elles. Les Béotiens avaient avec les Athéniens un simple armistice de dix jours, conclu peu de temps après la paix de cinquante ans. Les Corinthiens les prièrent de les accompagner à Athènes et de les faire comprendre dans cet armistice. En cas de refus de la part des Athéniens, ils voulaient que les Béotiens renonçassent à leur
Le même été, les Lacédémoniens en corps de nation, sons la conduite de leur roi Plistoanax, fils de Pausanias, marchèrent en Arcadie contre les Parrhasiens, sujets de Man-tinée. Appelés par une des factions qui divisaient le pays, ils voulaient en même temps, s’il était possible, détruire le fort de Cypséla [*](Ville d’Arcadie, située dans une plaine près du cours supérieur de l’Alphée et de l’endroit où plus tard fut construite Mégalopolis. ). Cette place, située en Parrhasie, avait été fortifiée et pourvue d'une garnison par les Mantinéens, de manière à menacer la Sciritide[*](Pays montueux, formant la partie N. O. de la Laconie, et confinant aux territoires de Ménale et de Parrhasie en Arcadie. ), district de Laconie. Les Lacédémoniens ravageaient les terres des Parrhasiens. Les Mant'méens avaient confié leur ville à une garnison argienne , et gardaient eux-mêmes le pays de leurs alliés ; mais, sentant l’impossibilité de défendre à la fois le fort de Cypséla et les villes par-rhasiennes, ils opérèrent leur retraite. Les Lacédémoniens rendirent l’indépendance aux Parrhasiens, démolirent le fort et s’en retournèrent chez eux.
Le même été, lorsque les troupes employées en Thrace eurent été ramenées par Cléaridas en conséquence de la paix, les Lacédémoniens décrétèrent que les Hilotes qui avaient servi sous Brasidas seraient affranchis et libres d’habiter où ils voudraient[*](Dans l’état de servage les Hilotes étaient .attachés à la glèbe. Leurs maîtres n’avaient pas le droit de les vendre hors du pays. ). Peu de temps après, lorsque la guerre avec les Éléens eut éclaté, ils les placèrent, avec les Néoda-modes[*](C’était le n«n des affranchis à Sparte et, A ce qu’on croît, le premier degré pour parvenir à la bourgeoisie. Les Néodamodes servaient comme hoplites. Leur nombre était considérable. Xénopbon (Agésilas, i) en cite deux mille dans une expédition. ), à Lépréon sur les eonfins de la Laconie et de l’ÉHde. Quant aux prisonniers de l'île, ou pouvait craindre que le sentiment de leur disgrâce ne les portât à tenter quelque mouvement, s’ils conservaient la plénitude de leurs droits. Ils furent donc dégradés, quoique plusieurs d’entre eux fussent déjà dans les charges. Cette peine les rendait inhabiles à exercer aucune fonction publique, à contracter ni vente ni achat. Dans la suite, ils fuirent réhabilités.
Ce fut encore dans le même été que lesDiens[*](Le texte reçu porte Δικτιδιῆς, nom absolument inconnu. J’ai suivi la conjecture de Didot, qui a proposé de lire Διῆς, les Diens, habitants de la ville de Dion, sur la côte du mont Athos. Il est vrai que les Diens étaient alliés d’Athènes, et qu’ils ne se révoltèrent que plus tard (liv. V, ch. lxxxii); mais, avant leur défection, ils peuvent avoir eu une guerre particulière avec leurs voisins de Thyssos. ) prirent Thyssos, ville située sur l’Athos et alliée d’Athènes.
Durant toute cette saison, les Athéniens et les Péloponésiens communiquèrent librement ensemble. Cependant la paix était à peine rétablie qu’on vit surgir entre eux des défiances réciproques au sujet de la non-reddition de quelques places. Les Lacédémoniens, désignés par le sort pour commencer les restitutions , ne rendaient ni Amphipolis ni le reste. Ils n’avaient obtenu l’adhésion ni de leurs alliés de Thrace, ni des Béotiens, ni des Corinthiens, quoiqu’ils promissent toujours de s’unir aux Athéniens pour contraindre les récalcitrants. Us avaient même fixé verbalement un terme, passé lequel ceux qui n’auraient pas acquiescé à l’alliance seraient considérés comme ennemis par les deux nations. Les Athéniens, ne voyant s’accomplir aucune de ces promesses, commençaient à révoquer en doute la loyauté des Lacédémoniens. Aussi, malgré leurs instances, refusèrent-ils la rétrocession de Pylos ; ils regrets taient même d’avoir rendu les prisonniers de l’île ; enfin, ils résolurent de détenir les autres places jusqu’à ce que les Lacédémoniens eussent rempli leurs engagements. Les Lacédémoniens prétendaient avoir fait tout ce qui était en leur pouvoir, en Tetirant les soldats du littoral de la Thrace et de tous les endroits dont ils étaient maîtres. Quant à Amphipolis, ils assuraient qu’il ne dépendait pas d’eux de la livrer; qu’ils feraient leur possible pour obtenir l’adhésion des Béotiens et des Corinthiens, de même que la remise de Panacton et des prisonniers athéniens qui se trouvaient en Béotie. Ils insistaient pour que les Athéniens leur remissent Pylos, ou que tout au moins, suivant l’exemple qu’eux-mêmes avaient donné en rappelant leurs soldats de Thrace, ils retirassent de Pylos les Messéniens et les Hilotes, sauf à y placer, s’ils le voulaient, une garnison athénienne. Enfin, après des discussions prolongées pendant tout l’été, ils obtinrent que les Athéniens fissent sortir de Pylos les Messéniens, les Hilotes et tous les déserteurs lacédémo-niens. On les établit à Cranies, ville de Céphallénie. Ainsi, l’été se passa tranquillement et sans que les communications fussent interrompues.
L’hiver suivant, les éphores sous lesquels le traité avait eu lieu se trouvaient sortis de charge et remplacés par d’autres, dont quelques-uns étaient opposés à la paix. Des députations des villes alliées vinrent à Lacédémone et s’y rencontrèrent avec des ambassadeurs athéniens, béotiens et corinthiens. Il y eut beaucoup de paroles échangées, sans aucune solution. Comme ces députés se disposaient à repartir, ceux
Les Béotiens et les Corinthiens se retirèrent, chargés de ces communications pour leurs États de la part de Xénarès, de Cléoboulos et de leurs amis à Lacédémone. Deux Argiens de la plus haute dignité les guettaient au passage. Les ayant rencontrés, ils se mirent en rapport avec eux, afin d’attirer les Béotiens dans l’alliance d’Argos, à l’exemple de Corinthe , d’Ëlis et de Mantinée. Ils leur représentèrent que, ce but une fois atteint, il leur serait facile, en se concertant, de faire à leur gré la guerre ou la paix, soit avec Lacédémone, soit avec toute autre nation. Les députés béotiens accueillirent ces ouvertures, qui se trouvaient d’accord avec les recommandations de leurs amis de Lacédémone. Les Argiens, voyant qu’ils prêtaient l'oreille à leurs propositions, partirent en disant qu’ils allaient envoyer des députés en Béotie.
Les Béotiens, à leur retour, ne manquèrent pas de rapporter aux béotarques les propositions de Lacédémone et des Argiens qu’ils avaient rencontrés. Ces magistrats entrèrent dans ces vues, d’autant plus facilement que les sollicitations de leurs amis à Lacédémone coïncidaient avec celles des Argiens. Bientôt arrivèrent des députés d’Argos, apportant les propositions dont il a été parlé. Les béotarques y donnèrent leur approbation, et congédièrent ces députés avec promesse d’envoyer eux-mêmes une députation à Argos pour conclure l’alliance.
Cependant les béotarques, les Corinthiens, les Mantinéens et les députés de Thrace jugèrent à propos de s'engager avant tout par des serments mutuels à se prêter, à tout événement, l’assistance requise, et à ne faire la guerre ou la
Le même hiver, les Olynthiens prjrent par incursion Mécyberna, où était une garnison athénienne.
Les discussions continuaient entre les Athéniens et les Lacédémoniens au sujet des restitutions mutuelles. Les Lacédémoniens, espérant recouvrer Pylos si les Béotiens abandonnaient Panacton, envoyèrent une ambassade en Béotie, avec prière de leur remettre cette place et les prisonniers athéniens, afin de les échanger contre Pylos; mais les Béotiens refusèrent de s'en dessaisir, à moins que les Lacédémoniens ne voulussent conclure avec eux une alliance particulière, comme ils l’avaient fait pour Athènes. Les Lacédémoniens sentaient bien que c’était heurter les Athéniens ; car il était dit qu’on ne ferait la paix ni la guerre que d’un commun accord [*](Cette clause ne se trouve pas dans le texte du traité de paix ni dans celui du traité d’alliance entre Athènes et Lacédémone (ch. xvm et xxm). Il se peut que ce fût un article additionnel, du genre, de ceux qu’on s’était réservé le droit d’ajouter d’un commun accord, et tel qu’il se trouve dans le traité entre Argos et Lacédémone (ch. lxxx). ). Cependant, comme ils avaient à cœur de recevoir Panacton pour l’échanger contre Pylos, et que d’ailleurs les partisans d’une rupture appuyaient chaudement les Béotiens, l’alliance en question fut conclue. L'hiver tirait alors à sa fin et le printemps était proche. Panacton fut aussitôt rasé. Ainsi se termina la onzième année de la guerre.
Dès les premiers jours du printemps suivant [*](Deuxième année de la guerre, an 420 avant J.-C.), les Argiens ne voyant pas venir les députés qu’ils attendaient de Béotie, informés de la démolition de Panacten et de ralliante particulière des Béotiens avec les Lacédémoniens, craignirent de se trouver isblés, si tous leurs alliés passaient du côté de Lacédémone. Ils croyaient que c'était cette ville qui savait eo-gagé les Béotiens à raser Panacton et à entrer dans ralliante d’ Athènes[*](L’alliance particulière que les Béotiens venaient de conclure avec les Lacédémoniens était sans doute la même que celle de ceux-ci avec Athènes. C’était donc pour les Béotiens une accession indirecte à la paix conclue entre les Athéniens et les Lacédémoniens, puisque c’était s’allier avec les alliés d’Athènes. ) ; que les Athéniens en étaient instruits ; que dès lors il ne fallait plus songer à nouer amitié avec eux, comme ils s’étaient flattés de le faire dans le cas où les démêlés avec Lacédémone amèneraient nne ruptu te. Dans cette situation. les Argiens appréhendèrent d’avoir à la fois sot les bTas les Laoédémoniens., les Tégéates, les Béotiens et les Athéniens. Eux qui naguère avaient refusé de traiter avec les Lacédémoniens, et porté leur ambition jusqu’à rêver la suprématie du Péloponèse, députèrent en toute hâte à Lacédémone Eostro-phos et Ëson, qui leur semblaient y devoir être le mieux accueillis . Leur intention était de conclure avec les Lacédémoniens une paix aussi favorable que possible, et d’attendre ensuite les événements.
Dès leur arrivée, ces députés eurent des conférences avec les Lacédémoniens, pour tâoher de se mettre d’accord. Avant tout, ils exigèrent qu’on soumît à l’arbitrage d’une ville ou d’un particulier leur éternel différend au -sujet de la Cynurie. Ce pays, situé entre les deux États, comprend les villes de Thyréa et d'Anthène, et appartient aux Laoédémoniens. Ceux-ci ne voulurent pas entendre parler de cette affaire mais ils offrirent de traiter avec les Argiens aux mêmes termes que précédemment. Toutefois les députée les amenèrent à Souscrire aux dispositions suivantes. On ferait pour le moment une trêve de cinquante ans, pendant la durée de laquelle chacun des deux peuples aurait le droit — moyennant une déclaration préalable et sauf le cas de peste ou die guerre tk Lacédémone ou à Argos — d’en appeler aux armes pour la possession de cette contrée, comme cela s’était pratiqué jadis, lorsque les deux partis s’étaient attribué la victoire[*](Cet ancien combat entre les Argiens et les Lacédémoniens se disputant la Cynurie, est raconté par Hérodote, liv. I, ch. lxxxii. Il eut lieu en 555 av. J. C. ) ; la poursuite ne pourrait pas s’étendre au delà des limites d’Argos ou de Lacédémone. Les Lacédémoniens voyaient dans cette prétention oie véritable démence ; néanmoins le désir de se concilier à tout prix l'amitié des Argiens les fit passer outre, et le traité fat
Pendant ces négociations, les ambassadeurs- lacédé-moniens Andromédès, Phédimos et Antiménidas, chargés de recevoir des Béotiens et de remettre aux Athéniens Fanacton et les prisonniers, trouvèrent Panacton rasé. Les Béotiens s’excusèrent en disant que jadis , à la suite de démêlés survenus entre eux et les Athéniens au sujet de cette place, il avait été convenu sous serment que ni les· uns ni les autres ne l'habita raient, mais qu'ils en exploiteraient en commun le territoire. Quant aux prisonniers athéniens détenus en Béotie , la remise en fut faite à Andromédès et à ses collègues, qui Ijbs conduisirent à Athènes et les rendirent. Ils annoncèrent aussi que Panacton était rasé ; c'est ce qu’ils appelaient le rendre, par là raison qu’aucun ennemi des Athéniens n’y habiterait plue. Les Athéniens éclatèrent en reproches contre les Lacédémoniens, soit pour la destruction de Panaoton, qui dèvait, disaient-ils, leur être remis intact, soit pour l’alliance séparée; qu’ils savaient existerentre les Lacédémoniens et les Béotiens. Ils soutenaient que les Lacédémoniens s’étaient engagés à s’unira eux pour contraindre les récalcitrants. Enfin ils recherchaient minutieusement toutes les autres dérogations au traité de paix, et se regardaient comme joués. Aussi répondirent-ils avec aigreur aux députés et les congédièrent.
Profitant de ces altercations, ceux des Athéniens qui désiraient la rupture du traité se mirent aussitôt à l’œuvre. De ce nombre était Alcibiade fils de Clinias, personnage qui eût alors passé pour un jeune homme dans toute autre ville[*](A cette époque, Alcibiade n’avait que vingt-sept ans. Or, dans la plupart des villes grecques, notamment à Sparte, l’exercice des droits politiques ne commençait qu’à trente ans. A Athènes, les citoyens faisaient partie de l’assemblée du peuple dès l’âge de vingt ans; mais pour être éligible aux charges, au conseil, aux tribunaux, il fallait avoir trente ans. ), mais à qui des ancêtres illustres avaient légué un immense crédit. Au fond; il ôtait convaincu que l’alliance d’Argos· valait mieux pour Athènes ; mais son opposition aux Lacédémoniens venait surtout d’un orgueil froissé. Il ne leur pardonnait pas d’avoir négocié la paix par l’entremise de Nicias et deLachès, de l’avoir dédaigné lui-même à cause de sa jeunesse et frustré d’un honneur qu’il croyait lui être dû ; il est vrai que son aïeul avait jadis renoncé à la proxénie de Lacédémone[*](Sur les proxènes, voyez liv. II, ch. xxix, note 1. Legrand-père maternel d’Alcibiade s'appelait comme lui. Ce nom, d’origine laco-nienne, indique les relations qui existaient entre cette famille athénienne et les Lacédémoniens. Comparez liv. VII, ch. lxxxix, et liv. VIII, ch. vi. ), mais lui-même avait'travaillé à la renouer par ses prévenances pour les prisonniers de l’île. Se tenant donc pour offensé à tous égards, il avait dès l’origine témoigné son éloignement; pour les Lacédémoniens , en les représentant comme des gens peu sûrs, qui
Sur ce message d’Alcibiade, les Argiens, informés d’ailleurs que l’alliance avec les Béotiens avait eu lieu en dépit des Athéniens, et que ceux-ci étaient en pleine brouille avec les Lacédémoniens, ne s’inquiétèrent plus des députés qui étaient partis pour traiter en leur nom à Lacédémone, et ne songèrent qu’à se rapprocher d’Athènes. Ils voyaient en elle une ville dès longtemps leur amie, gouvernée démocratiquement comme eux, et maîtresse d’une marine qui, en cas de guerre, leur serait d’un puissant secours. Ils s’empressèrent donc de faire partir pour Athènes une députation, à laquelle s’adjoignirent les Mantinéens et les Elécns. De leur côté les Lacédémoniens envoyèrent en toute hâte aux Athéniens des ambassadeurs qu’ils croyaient leur être agréables, savoir Phi-locharidas, Léon et Endios. Ils craignaient que les Athéniens, n’écoutant que leur colère, ne s’alliassent avec les Argiens. Ils voulaient par la même occasion réclamer Pylos en échange de Panacton et juetifier leur alliance avec les Béotiens, en la représentant comme tout à fait inoffensive pour Athènes.
Ces députés exposèrent dans le conseil l’objet de leur mission [*](Les ambassadeurs étrangers étaient introduits par leurs proxènes dans le conseil, qui devait ensuite les présenter dans l’assemblée du peuple, avec son avis préalable sur l’objet de leur mission. ) et se déclarèrent munis de pleins pouvoirs pour régler tous les différends. Là-dessus Alcibiade craignit que. s’ils tenaient le même langage devant le peuple, ils n’entraînassent la multitude et ne fissent repousser l’alliance d’Argos. Il imagina donc de leur tendre un piège. Il leur insinua que. s’ils dissimulaient dans rassemblée les pleins pouvoirs dont ils étaient porteurs, il se faisait fort de terminer leurs litiges et de leur faire obtenir la restitution de Pylos, qu’il appuierait à ce prix comme il l’avait jusqu’alors combattue. C’était une manière de les détacher de Nicias[*](En leur faisant croire que sa propre influence était supérieure à , celle de ce général. ), de les discréditer auprès du peuple comme coupables de perfidie et de duplicité, enfin de pousser les Athéniens dans l’alliance des Argiens, des Éléens et des Mantinéens. Alcibiade y réussit. Quand les députés lacédémoniens parurent dans l’assemblée, et qu’aux questions qui leur furent faites ils ne répondirent plus, comme devant le conseil, qu’ils venaient munis de pleins pouvoirs, les Athéniens éclatèrent. Alcibiade se déchaîna de plus belle contre les Lacédémoniens et