History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Pendant ce temps, les Béotiens se rassemblaient à Tanagra. Quand les contingents de toutes les villes furent arrivés et qu’on sut les Athéniens en retraite, les béotarques, qui sont au nombre de onze, ne furent pas d’avis de les attaquer, puisqu’ils étaient hors de la Béotie. En effet les Athéniens, lorsqu’ils avaient fait halte, se trouvaient sur les frontières d’Oro-pos [*](Ville située sur l’Euripe, en face d’Érétrie. Elle appartenait originairement à la Béotie, mais les Athéniens s’en étaient rendus maîtres. Voyez liv. II, ch. xxm. ). Le seul Pagondas, fils d Êoladas, émit l’opinion contraire. Il était alors béotarque de Thèbes, conjointement avec Arian-thidas fils de Lysimachidas, et avait le commandement en chef. Il crut que le meilleur parti était d’engager le combat. Il réunit donc les soldats par bataillons, afin qu’ils ne quittassent pas les armes tous à la fois, et il prononça le discours suivant, qui décida les Béotiens à prendre l’offensive.

« Il n’aurait dû entrer dans la pensée d’aucun de nos généraux qu’il fallût renoncer à combattre les Athéniens du moment que nous n’avions pu les joindre en Béotie. C’est bien la Béotie qu’ils se préparent à ravager ; c’est chez nous qu’ils sont venus construire une forteresse; enfin ils sont toujours nos ennemis, quel que soit le lieu où nous les atteignions et celui d’où partent leurs attaques.

« Si quelqu’un a pu croire plus prudent de ne pas agir, qu’il se détrompe. Les règles de la prudence ne sont pas les mêmes pour des gens à qui l’on dispute leur territoire, ou pour un

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peuple qui, maître du sien, attaque sans provocation et par esprit de conquête. Nos pères nous ont appris, en cas digression étrangère, à combattre indifféremment sur notre sol ou sur celui d'autrui.

« Cela est surtout nécessaire à l’égard des Athéniens, dont le pays touche le nôtre. Entre nations limitrophes, l’équilibre des forces maintient seul la liberté. Et comment ne pas lutter à outrance contre des hommes qui prennent à tâche d’asservir tous ceux qu’ils peuvent atteindre de près ou de loin ? Que leur conduite envers nos voisins de l’Eubée et envers la plupart des Grecs nous serve de leçon. Communément c’est pour des limites territoriales que s’élèvent les guerres entre peuples voisins; mais pour nous, si nous succombons, il n’y aura plus dans tout notre pays une seule limite solidement plantée. Une fois chez nous, ils nous dépouilleront violemment: tant il est vrai que leur voisinage est pour nous le pire de tous.

« D’ordinaire ceux qui, à leur exemple, se confient en leur force attaquent avec hardiesse un peuple tranquille, qui se borne à défendre ses foyers; mais ils sont moins ardents contre celui qui va à leur rencontre hors des frontières et qui sait prendre l’offensive dans un moment donné. Nous Pavons éprouvé avec ces mêmes Athéniens. La victoire que nous remportâmes sur eux à Coronée, à une époque ou nos dissensions leur avaient ouvert notre pays, a procuré jusqu’à ce jour une profonde sécurité à la Béotie.

« Que ce souvenir nous excite, nous autres qui sommes âgés, à nous montrer les mêmes que jadis, et les jeunes gens, ceux dont les pères déployèrent alors tant de vaillance, à ne pas ternir des vertus héréditaires. Confions-nous dans la protection de ce dieu, dont leur sacrilège a converti le temple en forteresse; confions-nous dans les victimes qui nous présagent la victoire. Marchons droit aux ennemis, et apprenons-leur que, s’ils veulent assouvir leur convoitise, ils doivent s’attaquer à des peuples qui ne se défendent pas ; mais qu’avec des hommes accoutumés à combattre pour leur liberté sans jamais attenter à celle des autres, ils ne se retireront pas sans avoir soutenu le combat. »

Cette exhortation de Pagondas détermina les Boétiens à livrer bataille. Il mit aussitôt l’armée en mouvement ; car le jour commençait à baisser. Parvenu à portée de Pennemf, il prit position derrière une colline qui formait un rideau entre les deux armées ; puis il rangea ses troupes et se prépara au

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combat. Hippocratès était encore à Délion. Informé de l’approche des Béotiens, il envoya sur-le-champ à l’armée athénienne l’ordre de se mettre en bataille. Lui-même arriva peu après. Il avait laissé devant Délion environ trois cents cavaliers pour couvrir cette place en cas d’attaque et pour charger en temps opportun les ennemis pendant l’action. Ceux-ci leur opposèrent un corps capable de les contenir.

Quand les Béotiens eurent achevé leurs dispositions, ils commencèrent à se montrer sur le sommet de la colline, où ils firent halte en ordre de combat. Ils avaient sept mille hoplites, plus de dix mille hommes légèrement armés, mille cavaliers et cinq cents peltastes. Les Thébains et leurs sujets occupaient la droite ; au centre étaient les Haliartiens, les Co-ronéens , les Copéens et autres riverains du lac [*](Le lac Copaïs ou Céphissis. ) ; à la gauche les Thespiens, les Tanagréens et les Orchoméniens. Les deux ailes étaient appuyées par la cavalerie et par les troupes légères. Les Thébains étaient rangés sur vingt-cinq de hauteur, les autres à volonté. Telles étaient les dispositions et l’ordonnance de l’armée béotienne.

Du côté des Athéniens, sur toute la ligne, les hoplites, égaux en nombre à ceux de l’ennemi, se rangèrent sur huit de hauteur. La cavalerie flanquait les ailes. Quant aux troupes légères, il n’y en avait point alors de régulièrement armées; les Athéniens n’en eurent jamais[*](L’armement des psiles athéniens ne fut régularisé que par Iphicrate, postérieurement à la guerre du Péloponèse. Il leur donna un petit bouclier ou rondelle (πέλτη), une lance plus longue et une épée plus forte que celle des hoplites, une cuirasse de lin et une chaussure commode, à laquelle son nom demeura attaché. Voyez liv. I, ch. lx, note 1. ). Il en était bien parti d’Athènes, et même en plus grand nombre que celles de l’ennemi ; mais c’étaient pour la plupart des hommes sans armes, composant la levée en masse des étrangers et des citoyens. Or, comme ils avaient pris les devants pour retourner au pays, il ne s’en trouva que fort peu à cette journée. Lorsque les troupes furent en bataille et l’action près de commencer, Hippocratès parcourut le front de son armée et la harangua en ces termes :

« Athéniens, mon exhortation sera brève ; mais qu’importe à des gens de cœur? Mon but n’est pas de relever votre courage, mais de vous en faire souvenir. Que nul de vous ne s’imagine que nous affrontons le péril sur une terre et pour une cause qui nous sont étrangères. C'est sur leur territoire, mais c’est pour le nôtre que nous allons combattre. Si nous sommes vainqueurs, jamais les Péloponésiens, dépourvus de la cavalerie béotienne, n’oseront envahir l’Àttique. Un seul combat nous rendra maîtres de ce pays et mettra le nôtre à l’abri du danger. Marchez donc avec une bravoure digne de la première des villes grecques, digne de cette patrie dont chacun

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de vous est si glorieux, digne enfin de vos pères qui jadis, sous la conduite de Myronidès, triomphèrent aux Œnophyies et soumirent la Béotie. »

En prononçant cette harangue, Hippocrates était parvenu jusqu’à la moitié de la ligne, sans avoir eu le temps d’atteindre l’extrémité, .lorsque les Béotiens, après une courte allocution de Pagondas, entonnèrent le péan et descendirent la colline. Les Athéniens à leur tour s’ébranlèrent, et l’on s’aborda au pas de course. De part et d’autre les extrémités ne donnèrent pas; elles furent arrêtées par des torrents. Le reste se joignit avec une telle furie que les boucliers se heurtèrent et qu’on se battit corps à corps. L’aile gauche des Béotiens jusqu’à la moitié de leur ligne fut défaite par les Athéniens, qui la poussèrent vigoureusement. Les Thespiens eurent surtout à souffrir. Découverts par la retraite de leurs voisins, ils furent enveloppés par les Athéniens et taillés en pièces après une lutte acharnée. Quelques Athéniens, dans le désordre qui suivit leur mouvement de conversion, ne se reconnurent pas et s’entre-tuèrent. Ainsi de ce côté les Béotiens eurent le dessous et se replièrent vers ceux qui tenaient encore. L’aile droite an contraire, où se trouvaient les Thébains, défit les Athéniens, les culbuta et les poursuivit d’abord assez lentement; mais Pagondas ayant envoyé au secours de sa gauche deux escadrons de cavalerie qui devaient tourne^ la colline sans être aperçus, leur apparition soudaine sema l’effroi dans l’aile des Athéniens jusqu’alors victorieuse ; elle les prit pour une nouvelle armée en mouvement contre elle. Pressés d’un côté par cette cavalerie, de l’autre par les Thébains qui les serraient de près et qui étaient parvenus à les rompre, les Athéniens s’enfuirent à la débandade, les uns vers Délion et la mer, ceux-ci vers Oropos, ceux-là vers le mont Parnès, chacun enfin où il entrevoyait quelque chance de salut. Les fuyards tombaient sous les coups des Béotiens, surtout de leur cavalerie et de la cavalerie locrienne, arrivée au moment de la déroute. La nuit qui survint favorisa la fuite du plus grand nombre.

Le lendemain, ceux qui avaient trouvé un asile à Oropos et à Délion laissèrent garnison dans cette dernière place qu’ils occupaient encore, et se retirèrent par mer dans leur pays. Les Béotiens érigèrent un trophée, recueillirent leurs morts et dépouillèrent ceux de l’ennemi ; après quoi, laissant une garde suffisante [*](Sur le champ de bataille, afin d’empêcher les Athéniens d’enlever leurs morts sans en avoir préalablement demandé l’autorisation. ), ils se retirèrent à Tanagra et préparèrent l’attaque de Délion. Un héraut envoyé par les Athéniens pour

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réclamer les morts rencontra un héraut béotien, qui le fit rebrousser en lui disant qu’il n’obtiendrait rien avant que lui-même ne fût de retour. Celui-ci, s’étant présenté aux Athéniens, leur déclara au nom des Béotiens qu’ils avaient commis une injustice et enfreint les lois de la Grèce; qu’il était universellement reçu, quand on entrait sur terre étrangère, de respecter les lieux sacrés; que les Athéniens au contraire avaient fortifié Délion et s'y étaient installés ; qu’ils s'en servaient comme d’un lieu profane, et puisaient pour leur usage l’eau réservée aux ablutions des sacrifices ; qu’en conséquence les Béotiens, en vertu de leurs droits et de ceux du dieu, sommaient les Athéniens, au nom d’Apollon et des autres divinités du temple, d’évacuer l’enceinte sacrée en emportant ce qui était à eux.

Sur ce message, les Athéniens à leur tour envoyèrent aux Béotiens un héraut pour leur dire qu’ils n’avaient fait aucun mal au temple et n’en feraient volontairement aucun ; qu’ils n’étaient point venus dans cette intention, mais pour s’y établir afin de repousser d’injustes agresseurs; que, d’après l’usage constant de la Grèce, la conquête d’un territoire grand ou petit donnait droit sur les temples qui s’y trouvaient, à la charge de les honorer selon les rites accoutumés et par tous les moyens possibles ; que les Béotiens eux-mêmes et tous ceux qui, à leur exemple, s’étaient établis sur une terre étrangère en expulsant les anciens possesseurs, avaient trouvé des temples qui appartenaient originairement à d'autres, mais qui étaient passés entre leurs mains; que si les Athéniens avaient pu occuper une plus grande partie de la contrée, ils l’auraient fait; mais qu’ils n’abandonneraient pas de plein gré celle où ils étaient et qu’ils considéraient comme à eux. Quant à l’eau, s’ils en avaient fait usage, c’était non dans un but sacrilège, mais par l’obligation où les Béotiens les avaient mis de se défendre en venant les attaquer sur leur propre terrain; que le dieu aurait sans doute de l’indulgence pour un fait qui était la suite inévitable des nécessités de la guerre ; que les fautes involontaires avaient pour refuge les autels; qu’on appelait crime le mal commis sans contrainte et non celui qui résulte des calamités; qu’en prétendant échanger des cadavres contre des temples, les Béotiens commettaient un plus grand sacrilège qu’eux-mêmes en refusant de souscrire à cette impie transaction; qu’enfin ils les sommaient de leur permettre d’enlever leurs morts sous la foi d’un traité, conformément aux lois nationales,

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et nullement à condition d’évacuer la Béotie, puisqu’ils n’étaient plus sur les terres des Béotiens, mais sur celle qu’ils avaient conquise les armes à la main.

Les Béotiens répondirent que si les Athéniens étaient en Béotie, ils eussent à se retirer en emportant ce qui était à eux; mais que s’ils se croyaient dans leur pays, c’était à eui d’aviser à ce qu’ils devaient faire. Ils regardaient bien le territoire d’Oropos, sur les limites duquel s’éiait donnée la bataille, comme faisant partie de la domination des Athéniens; néanmoins ils ne croyaient pas que les Athéniens pussent enlever les morts malgré eux. Aussi ne voulaient-ils pas traiter pour un territoire dépendant d’Athènes; ils préféraient répondre évasivement qu’ils eussent à sé retirer en emportant ce qu’ils réclamaient. Sur cette réponse, le héraut athénien s’en retourna sans avoir rien conclu.

Aussitôt les Béotiens firent venir du golfe Maliaque des gens de trait et des frondeurs[*](Probablement des Trachiniens et des Etoliens auxiliaires, qui sont mentionnés (liv. III, ch. xcvii et xcviii) comme d’habiles gens de trait. Les Bomiens et les Calliens, peuplades éto-liennes, habitaient dans le voisinage du golfe Maliaque (liv. III, ch. xcvi). ). Depuis la bataille, ils avaient été renforcés par deux mille hoplites de Corinthe, par la garnison péloponésienne sortie de Niséa [*](Il paraît qu’un petit nombre seulement des Péloponésiens enfermés à Niséa avaient été livrés aux Athéniens lors de la capitulation de celte place (ch. lxix), et qua la majeure partie avait réussi à s’échapper. ), enfin par un certain nombre de Mégariens. Avec ces forces ils marchèrent à l’attaque de Délion. Entre autres moyens, ils dirigèrent contre le rempart une machine qui les en rendit maîtres et dont voici la description. Ils prirent une grande poutre, qu’ils scièrent en long et qu’ils creusèrent d’un bout à l’autre ; puis ils en ajustèrent exactement les deux moitiés pour former une espèce dt tube. A l’une des extrémités ils suspendirent avec des chaînez un bassin, où venait aboutir en se courbant un bec de fer. Toute la partie antérieure de la poutre était recouverte du même métal. Cette machine fut amenée de loin sur des chariots jusqu’au pied du retranchement, à l’endroit où se trouvait le plus de sarments et de bois. Lorsqu’elle fut proche, ils adaptèrent à l’extrémité tournée vers eux de grands soufflets qu’ils firent jouer. L’air comprimé, pénétrant par le tube dans le bassin rempli de charbons ardents, de soufre et de poix, produisit une flamme tellement intense que toute la palissade fut embrasée et que personne n’y put demeurer. Les assiégés abandonnèrent leur poste et la place fut prise. Une partie de la garnison périt; deux cents hommes furent faits prisonniers; le reste delà troupe monta sur les vaisseaux et réussit à s’échapper.

Délion fut pris dix-sept jours après la bataille. Le héraut athénien, sans rien savoir de ce qui s’était passé, revint peu de temps après pour demander les morts. Cette fois les Béotiens

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ne firent plus difficulté pour les rendre. Leur perte dans le combat fut d’un peu moins de cinq cents hommes; celle des Athéniens de mille, parmi lesquels Hippocratès leur général, sans compter bon nombre de valets et de soldate armés à la légère.

Quelque temps après, Démosthène, qui avait échoué dans son entreprise sur Siphæ où l’on avait pratiqué des intelligences, fit une descente en Sicyonie avec des Acarnaniens, des Agréens, et quatre cents hoplites d’Athènes. Mais, avant que touslesbâti-ments eussent touché terre, les Sicyoniens accoururent et mirent en fuite les soldats débarqués. Ils les poursuivirent jusqu’à la rade, en tuèrent plusieurs et en prirent d’autres vivants. Sur quoi ils dressèrent un trophée et rendirent les morts par composition.

Pendant le siège de Délion, Sitalcès roi des Odryses trouva la mort dans une expédition contre les Triballiens, où son armée fut défaite. Son neveu Seuthès, fils de Spardacos, devint alors roi des Odryses et de tous les pays de Thrace sur lesquels s’étendait la domination de son oncle.

Le même hiver, Brasidas, avec les alliés du littoral de la Thrace, marcha contre Amphipolis, colonie athénienne, située sur le fleuve Strymon. Arist agoras de Milet, fuyant le roiDarius, avait fait un premier essai de colonisation sur l’emplacement de cette ville ; mais il avait été chassé par les Édoniens [*](Comparez Hérodote, liv. V, ch. n etcxxiv. ). Trente-deux ans plus tard, Athènes y envoya dix mille colons, composés d’Athéniens et des étrangers qui voulurent s’y joindre. Ils furent taillés en pièces à Drabescos par les Thraces[*](Voyez liv. I, ch. c. On rapporte généralement la mort d’Aristagoras à l’an 497 av. J. C., l’envoi de dix mille colons athéniens à l’an 465, enfin l’établissement d’Hagnon à l’an 437 av. J. C. ). Au bout de vingt-neuf ans, les Athéniens revinrent sous la conduite d’Hag-non,fils de Nicias. Ils chassèrent les Édoniens, et bâtirent une ville dans le lieu appelé précédemment les Neuf-Voies. Leur point de départ fut Éïon, comptoir maritime qu’ils possédaient à l’embouchure du fleuve, à vingt-cinq stades de la ville actuelle. Hagnon la nomma Amphipolis parce que, voulant achever d’enceindre la place baignée de deux côtés par le Strymon, il ferma d’un long mur l’ouverture du demi cercle décrit par le fleuve, et construisit la ville de manière à ce qu’elle fût aperçue de la meret du continent[*](Le Strymon, après sa sortie du lac Cercinitis, forme un coude ouvert du côté de 1Έ. L’espace circonscrit de la sorte est occupé par une colline, sur les deux penchants de laquelle fut bâtie Amphipolis. Le mur construit par Hagnon formait la corde de l’arc décrit par le fleuve. De cette situation dérive le nom d’Amphipolis (la ville double), parce qu’elle était à cheval sur la colline, partie sur la pente septentrionale et partie^sur la pente méridionale. ).

C’est contre cette place que Brasidas, parti d’Arné en Chalcidique, s’avança avec son armée. Il arriva dans la soirée à Aulon et à Bromiscos, près de l’endroit où le lac Bolbé se déverse dans la mer. Après le repas du soir, il continua sa route pendant la nuit. Le temps était mauvais et neigeux, raison de plus pour accélérer sa marche ; car il voulait dérober son approche

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à ceux des habitants qui Tignoraient. La population d’Amphipolis renfermait un certain nombre d’Argiliens originaires d’Andros, ainsi que d’autres gens qui étaient entrés dans le complot à l’instigation de Perdiccas ou des Chalcidéens; mais les plus chauds partisans de l’entreprise étaient les Argiliens. Habitants du voisinage, ils étaient en mauvais termes avec les Athéniens. Il y avait longtemps qu’en vue de s’emparer d’Am-phipolis, ils avaient noué des intelligences avec leurs concitoyens domiciliés dans cette ville. L’arrivée de Brasidas leur parut le moment d’agir. Ils accueillirent donc ce général dans leurs murs, se déclarèrent en révolte contre les Athéniens, et cette nuit même ils conduisirent l’armée jusqu’au pont jeté sur le fleuve [*](Le pont d’Amphipolis était le seul qui existât sur. le Strymon. Les campagnes des Amphipolitains ôtaient pour la plupart situées au delà du fleuve. Depuis cette époque la ville s’agrandit et atteignit la rive gauche du Strymon. ). La ville d’Amphipolis en est peu éloignée, et à cette époque les murs n’y aboutissaient pas comme aujourd’hui. On n’y tenait qu’un faible poste, que Brasidas n’eut pas de peine à enlever. Secondé à la fois par la trahison, par le mauvais temps et par le mystère de son approche, ü franchit le pont, et se trouva aussitôt maître de tout ce que les habitants possédaient hors des murs.

La surprise causée par cette occupation, l’affluence des gens du dehors qui fuyaient, la nouvelle que plusieurs d’entre eux étaient prisonniers, tout se réunit pour causer dans Amphipolis une alarme d’autant plus vive qu’on n’y était pas sans défiances mutuelles. Aussi assure-t-on que si Brasidas, au lieu de laisser son armée se livrer à la maraude, eût marché sur la ville sans perte de temps, il eût eu chance de la prendre. Mais il s’amusa à camper, à courir la campagne; et, ne voyant rien venir de ce qu’il attendait de l’intérieur, il resta dans l’inaction. Le parti opposé aux traîtres était le plus nombreux. Il empêcha d’ouvrir à l’instant les portes; et, d’accord avec le général athénien Euclès qui avait le commandement d’Amphipolis, il fit demander du secours à l'autre général de l’armée de Thrace. C’était Thucydide, fils d’Oloros, l’auteur de cette histoire. Celui-ci se trouvait alors dans l’île de Thasos, colonie de Paros, à une demi-journée de navigation d’Amphipolis. Sur cet avis, il s’empressa de mettre en mer avec sept vaisseaux qu’il avait sous la main. Il voulait, s’il était possible, prévenir la reddition d’Amphipolis, ou tout au moins s’assurer d’Éïon.

Brasidas redoutait l’arrivée de cette flottille venant de Thasos. Informé que Thucydide possédait dans cette partie de la Thrace une exploitation de mines d’or qui lui donnait la plus grande influence sur toute la contrée[*](Sur les mines situées vis-à-vis de Thasos, voyez liv. I, ch. c. Ces mines appartenaient alors aux Athéniens, qui les affermaient comme les autres branches du revenu public. Thucydide avait peut-être soumissionné l’exploitation, et y employait un grand nombre d’ouvriers. ), il s’empressa de le devancer

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en brusquant l’occupation d’Amphipolis. Il craignait qu’une fois ce général dans leurs murs, les Amphipolitains ne voulussent plus rien entendre, dans l’espoir d’être secourus du côté de la mer par leurs alliés et du côté de la terre par les troupes que Thucydide rassemblerait en Thrace. Brasidas offrit ckmc des conditions modérées. Il fit publier par un héraut que les Amphipolitains et les Athéniens qui se trouvaient dans la ville seraient libres d’y rester, en conservant leurs biens et la jouissance de l égalité civile ; que ceux à qui ces conditions ne convenaient pas auraient cinq jours pour sortir en emportant leurs effets.