History of the Peloponnesian War

Thucydides

Thucydides. Histoire de la Guerre du Péloponnése. Bétant, Élie-Ami, translator. Paris: Librairie de L. Hachette, 1863.

Ici commence la guerre entre les Athéniens et les Pélo-ponésiens, soutenus par leurs alliés respectifs. Pendant sa

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durée, ils n’eurent plus de communications que par ministère de héraut, et les hostilités une fois entamées ne discontinuèrent plus. Les événements sont rapportés dans Tordre chronologique, par été et par hiver.

La paix de trente ans, conclue après la conquête de l’Eubée, n’en subsista que quatorze. La quinzième année[*](Première année de la guerre, 431 av. J. C,— L’auteur accumule les indications chronologiques, afin de bien établir ce point de départ. Chaque peuple de la Grèce avait sa manière de compter les années] civiles : les Athéniens, d’après l’archonte-éponyme (entrant en charge au commencement de juillet); les Lacédémoniens, d’après le premier de leurs éphores; les Argiens, d’après le sacerdoce de la prêtresse de Junon. Dans sa narration. Thucydide ne suit pas l’année civile, mais l’année solaire, qui cadre mieux avec l’époque des opérations militaires. L’entreprise des Thébains sur Platée correspond à la fin d’avril 431 av. J. C. ), alors que Chrysis était prêtresse à Argos depuis quarante-huit ans, Énésias éphore à Sparte, Pythodoros encore pour deux mois archonte à Athènes, le sixième mois après la bataille de Potidée et au commencement du printemps, des Thébains, au nombre d’un peu plus de trois cents, conduits par les béo-tarques [*](Magistrats supérieurs de la confédération béotienne. Ils étaient annuels, rééligibles, et commandaient les troupes de leur État. La ville de Thèbes avait deux béotarques; les autres seulement un. Le nombre de ces magistrats varia suivant les temps. A la bataille de Délion, où se trouvaient toutes les forces béotiennes, il y avait onze béotarques (IV, xci). ) Pythangélos fils de Philidès et Diemporos fils d’Oné-toridès, environ l’heure du premier sommeil, entrèrent en armes à Platée, ville de Béotie, alliée d’Athènes. Ce furent des Platéens, Nauclidès et ses adhérents [*](Les portes de ville se fermaient au moyen d’une barre mobile, qui s’ajustait à deux crochets fixés aux battants, et dont les deux bouts s’enfoncaient dans des cavités ménagées dans les montants. Pour que la porte fût fermée aussi bien en dedans qu’en dehors, on insérait un boulon ou cheville de fer (βάλανος) dans un trou pratiqué à la barre et à l’un des montants, de manière à ce que la cheville s’y ûoyàt complètement. Cette cheville était creuse et munie d’un pas de vis à l’intérieur. Pour ouvrir, il fallait une clef (βαλανάγρα), qui s’adaptait au boulon et permettait de l’extraire. Ici le Platéen remplace le boulon par un fer de javelot, à peu près de la même forme, et dont il casse ensuite le bois, en sorte qu’il n’y ait plus moyen d’ouvrir. ), qûi les appelèrent et leur ouvrirent les portes. Ils voulaient, pour s’assurer l’autorité, se défaire de leurs antagonistes et livrer la ville aux Thébains. Le complot avait été ourdi entre eux et Eurymachos fils de Léontiadès, un des hommes les plus marquants de Thèbes[*](La faction oligarchique de Platée. Ce Léontiadès est le même qui était à la tête du gouvernement tbébain pendant la guerre Médique. (Hérodote, VII, ccv et ccxxiii.) ). Les Thébains, qui voyaient venir la guerre, désiraient, avant qu’elle eût éclaté, se saisir de Platée, leur éternelle ennemie. Il ne leur fut pas difficile d’entrer sans être aperçus; car on ne faisait pas encore la garde. Ils prirent position sur la place publique ; mais, au lieu de se mettre aussitôt à l'œuvre, comme l’auraient voulu les meneurs, et d’aller droit aux maisons de leurs adversaires, ils préférèrent user de proclamations conciliantes, afin d’amener la ville à composition. Le héraut publia que, si quelqu’un voulait entrer dans Tal-liance, suivant les institutions nationales de la confédération béotienne, il eût à venir en armes se ranger auprès d’eux. Ils espéraient que, par ce moyen, Platée se soumettrait sans peine.

Quand les Platéens surent les Thébains dans leurs murs, et la ville occupée, ils eurent un moment de frayeur; ils les croyaient plus nombreux, car la nuit empêchait de les voir. Ils entrèrent donc en accommodement, reçurent les propositions qui leur étaient faites et demeurèrent en repos, d’autant plus aisément qu’aucun d’eiix n’était inquiété ; mais, durant ces pourparlers, ils s’aperçurent du petit nombre des Thébains et pensèrent qu’en les assaillant ils en auraient bon marché. La grande majorité des Platéens n’avait nulle envie de se détacher d’Athènes ; l’attaque fut donc résolue. De peur d’être décou- 1

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verts en circulant dans la ville, ils se rassemblèrent en perçant les murs mitoyens des maisons ; ils barricadèrent les rues à Taide de chariots dételés, et firent de leur mieux toutes les dispositions convenables; puis, leurs préparatifs terminés, profitant d’un reste de nuit et sans attendre le lever de l’aurore, ils sortirent des maisons, et marchèrent aux Thébains. En plein jour, ceux-ci eussent été plus hardis et la partie moins inégale ; tandis que, de nuit, les Platéens devaient les trouver intimidés et avoir sur eux l’avantage de la connaissance des localités. Ils les assaillirent donc sans retard et en vinrent immédiatement aux mains.

Les Thébains, se voyant trompés, serrèrent leurs rangs, firent front de tous côtés et repoussèrent deux ou trois attaques. Mais quand les Platéens se ruèrent sur eux en grand tumulte ; quand, du haut des maisons, les femmes et les valets, avec des cris et des hurlements, firent voler les pierres et les tuiles ; quand une pluie battante vint encore augmenter l'obscurité, ils furent saisis d’épouvante; et, prenant la fuite, ils se mirent à courir à la débandade, par la boue, dans les ténèbres , — la lune était sur son déclin, — la plupart ignorant les détours qui auraient pu les sauver, tandis que leurs ennemis, plus expérimentés, leur coupaient la retraite : aussi leur perte fut-elle considérable. Un Platéen ferma la porte par où ils étaient entrés et qui seule était ouverte ; à cet effet, il se servit d’un fer de javelot, qu’il inséra dans la barre en guise de boulon ; ainsi, pas même de ce côté, il n’y avait d’issue. Poursuivis par la ville, quelques-uns escaladèrent la muraille, sautèrent dehors et se tuèrent presque tous ; d’autres avisèrent une porte non gardée, rompirent furtivement la barre au moyen d’une hache qu'une femme leur prêta, et s’échappèrent, mais en petit nombre, car on s’en aperçut bientôt; Vautres périrent çà et là dans Platée. Le gros de la troupe, ceux qui étaient demeurés en corps, alla donner dans un grand édifice adossé à la muraille et dont l’entrée était ouverte; ils la prirent pour une des portes de la ville et crurent qu'elle communiquait directement avec l’extérieur. Les Platéens, les voyant traqués, délibérèrent s’ils ne les brûleraient pas tous en mettant le feu à l’édifice, ou s’ils prendraient un autre parti. Finalement ces Thébains et tous ceux qui étaient épars dans la ville se rendirent à discrétion, et mirent bas les armes.

Tel fut le sort des Thébains entrés dans Platée. D’autres devaient, cette nuit même, arriver de Thèbes en corps d’armée

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pour les soutenir au besoin. Ils apprirent en route ce qui se passait et pressèrent le pas. Platée est à soixante-dix stades de Thèbes; l’orage de la nuit retarda leur marche ; le fleuve Asopos s’enfla et devint difficile à franchir; ils cheminèrent par la pluie, traversèrent le fleuve à grand’peine, et n’arrivèrent qu’après la prise ou la mort de leurs gens. En conséquence ils se mirent en devoir de dresser des embûches à ceux des Pla-téens qui étaient hors de la ville ; car il y avait dans la campagne bon nombre d’hommes, avec tout l'attirail qui s’y trouve en temps de paix èt de sécurité. Ils voulaient que ceux qu’ils réussiraient à prendre leur répondissent des captifs. Comme ils délibéraient, les Platéens, soupçonnant leurs intentions et alarmés pour ceux du dehors, envoyèrent un héraut pour dire aux Thébains que c’était une impiété à eux d’avoir cherché à s'emparer de leur ville en pleine paix; qu’ils se gardassent bien de toucher à ceux de l’extérieur, s’ils ne voulaient pas que les Platéens missent à mort les prisonniers tombés entre leurs mains ; s’engageant d’ailleurs à les rendre si les Thébains évacuaient le territoire. C’est là du moins ce que disent les Thébains, et ils ajoutent que cette convention fut confirmée par serment. Les Platéens au contraire soutiennent qu’ils n’avaient pas promis de rendre immédiatement les prisonniers, mais qu’ils étaient entrés simplement en pourparlers, pour essayer d’en venir à un accord, et ils affirment n'avoir rien juré. Quoi qu’il en soit, les Thébains quittèrent le pays sans y avoir fait aucun mal, tandis que les Platéens n’eurent pas plus tôt retiré dans leurs murs ce qui était dans les campagnes, qu’ils massacrèrent tous les prisonniers, au nombre de cent quatre-vingts. Parmi ces derniers se trouvait Eurymachos, le principal agent de la trahison.

Là-dessus ils dépêchèrent un courrier à Athènes, permirent aux Thébains d’enlever leurs morts, et firent dans leur ville toutes les dispositions que réclamaient les circonstances.

Les Athéniens ne tardèrent pas à être informes des événements de Platée. A l’instant ils mirent en arrestation tous les Béotiens qui étaient en Attique ; puis ils envoyèrent aux Platéens un héraut pour leur dire de ne rien statuer sur les Thébains prisonniers, avant qu’ils en eussent délibéré eux-mêmes. Ils ne savaient pas encore qu’ils fussent morts. Un premier courrier était parti de Platée au moment de l’entrée des Thébains; un second lorsqu’ils venaient d’être vaincus et pris; là s’arrêtaient les informations reçues à Athènes, et ce fut dans

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cette ignorance qu’on expédia le héraut. A son arrivée, il trouva les prisonniers massacrés. Les Athéniens firent passer des troupes et des vivres à Platée, y laissèrent garnison et emmenèrent les hommes les moins valides, ainsi que les femmes et les enfants.